Renards pris sur le
vif avec ma caméra au Jardin Botanique de Montréal…
Citations du jour
Être amoureux?
N'est-ce pas le désir sadique de manquer à l'autre?
José
Ortega
Depuis le début des années 60, la pensée philosophique d’expression
française au Canada a connu un développement à ce point soudain et accéléré
qu’il a peu de parallèles ailleurs dans le monde, un renouveau d’autant plus
intéressant qu’il couvre un éventail de
disciplines jusqu’alors pratiquement ignorées et que la philosophie a cessé de se cantonner
dans les universités des grands centres comme Montréal, Québec ou Ottawa, pour
essaimer également avec vigueur vers les institutions nouvelles comme les
centres universitaires ou collégiaux de Trois-Rivières ou de Rimouski.
Raymond Klibansky, 1998
Aimer demeure le plus inquiétant des rapports entre humains. À l'euphorie
de la rencontre de deux solitudes qui s'évertuent à coexister, se mêlent bien
vite la sensation de la corrosion du temps qui passe, l'angoisse de la
séparation, la certitude de la perte. On peut peut comprendre qu'à la
perspective de s'exposer à de telles souffrances, il soit plus simple , plus
rassurant, plus petit-bourgeois, de s'adonner à la routine de la débauche ou à
la prouesse du conjungo. L'amour est la forme la plus exquise de l'inconfort de
vivre.
Frédéric Schiffter
La vérité à laquelle j’arrive après des années de lutte et de réflexion,
c’est que je hais l’instinct sexuel. Je reconnais son importance, j’admire
cette force énorme qui a produit tant d’œuvres, mais je hais le désir, cette
force qui jette tant d’êtres sages aux pieds de tant d’imbéciles et les fait délirer
comme des enfants luxurieux. Je voudrais qu’il n’en fût pas ainsi.
Julien Green
Bien des hommes
demeurent aveugles à la personnalité de certaines femmes. Uniquement sensibles
aux jolies filles, ils attendent de ces
coquettes qu'elles tiennent, selon le mot de Milan Kundera, leur «promesse de
coït».
Frédéric
Schiffter
Il est remarquable de consacrer à quel point, bien avant Freud, Montaigne
soupçonne les philosophes de souffrir d'un excès de pensée, de raison et de «fantaisie»
- d'un excès de sens, donc, ce qu'en psychiatrie on entend par paranoïa. Tout
se passe comme si, angoissés par leur propre vie aussi fortuite qu'éphémère,
ils niaient la réalité du hasard, du temps et de la mort, pour lui substituer
un monde conforme à leur désir contrarié d'harmonie et d'éternité. Leur folie
consiste à présenter la réalité des apparences, comme le sous-produit d'une
autre réalité qu'ils nomment l'Être mais
qui n'existe que dans leur imagination - totale affabulation connue sous le nom
respectable de «métaphysique».
Frédéric
Schiffter
Plus on borne son univers, plus on se rapproche de l’infini; ceux là mêmes qui semblent vivre hors du monde creusent dans leur matière, tels des termites, un monde en miniature tout à fait singulier.
Stephan
Zweig
Nous sommes plus sensibles au sens implicite et flou qui émane d'une
personne qu'au sens explicite des paroles qu'elle prononce. Nous écoutons avec
nos yeux tout autant qu'avec nos oreilles, et plus qu'avec nos yeux puisque
nous devinons ce qui ne se montre pas. Mais c'est justement parce que cela ne
se montre pas que nous sommes attirés par lui, comme par un creux ou un
retrait.
Dans la rencontre avec une personne, nous tâtonnons dans l'inconnu, comme
elle tâtonne aussi. Elle-même ne sait pas exactement ce qu'elle va dire, et
quand elle le dit, elle ne le saisit pas adéquatement. Ou encore, nous sommes
frappés par ce qui est plus fort qu'elle, qu'elle dit explicitement et qui
émane des pores de sa peau, et dont elle n'est peut-être pas consciente,
précisément parce que cela est plus fort qu'elle. Nous ne faisons pas
exception, et nous échappons à nous mêmes, de sorte qu'on peut percevoir de nous ce qui nous échappe.
Pierre Bertrand, Pour l'amour du monde
Autrefois, j'allais au Louvre et les tableaux ou les sculptures me
donnaient une impression sublime. [...] Aujourd'hui, si je vais au Louvre, je
ne peux résister à regarder les gens qui
regardent les œuvres d'art. Le sublime
aujourd'hui pour moi est dans les visages plus que dans les œuvres. A tel point
que les dernières fois que je suis allé au Louvre, je me suis enfui,
littéralement enfui. Toutes ces œuvres avaient l'air misérable - une assez
misérable démarche, si précaire, un approchement balbutiant à travers les
siècles, dans toutes les directions possibles, mais extrêmement sommaires, primaires, naïves,
pour cerner une immensité formidable, je regardais avec désespoir les personnes
vivantes. Je comprenais que jamais personne ne pourrait saisir complètement
cette vie. C'était tragique et dérisoire que cette tentative.
Giacometti
Poèmes du jour
du blogueur
du blogueur
Armand Prise 5
Les astres sont alignés.
Tout
concourt en cette soirée de pleine lune.
La chance
sourit à notre âme téméraire.
Il prend son
courage à deux mains.
Son cœur bat
à la chamade.
Il
s’encourage.
Il boit à
qui mieux mieux…
L’alcool lui
donne espoir.
Elle le réconforte.
Il est déjà
assez sous son influence.
Il se sent
hors de lui.
Il peut déjà
rêver.
Il se
précipite sur la première venue.
On entend
son souffle haletant.
Les
pourparlers débutent.
Les
discussions s’ornent des plus beaux
sourires.
Un sourire
en renvoi à un autre.
Jusqu’à
ce dernier sourire qui renvoie notre
héros à son néant.
Armand Prise 4
Il essaie de
se repaître de son prochain repas.
Plutôt
parler de son premier repas.
Sa laideur
joue contre lui.
Elle le
condamne à une recherche perpétuelle.
Son cerveau
s’ingénue à débusquer l’âme sœur.
Il s’invente
des rendez-vous.
Mais sa
laideur rapplique au galop.
Armand tente
encore sa chance.
Il veut
jouer sous les tropiques.
Lui jouant
les anges blancs.
Une jeune
haïtienne jouant le rôle de l’ange noir.
Notre cher
Armand utilisant tous les vocables.
Il essaie de
magnifier son offre.
Les paris
sont ouverts.
Les
probabilités seraient-elles contre lui.
Il voudrait
les faire dévier de leurs trajectoires
Il la regarde
comme un assoiffé.
Guidé par
ses instincts, il va rejouer la donne.
A quoi bon
ses insuccès.
Plutôt
recommencer !
Le vieillissement
Je surgis de nulle part.
Je suis quelque part.
Je suis là pour aller nulle part.
Ma voix s’effiloche.
Les rides s’émeuvent.
Les carcans se referment.
La mémoire me joue des tours.
Le passé joue les
trouble-fêtes.
La plasticité du cerveau qui fait des siennes.
Le moi est une propre reconstruction de mes souvenirs.
Comment s’y retrouver dans ce dédale avec ces souvenirs
qui font des siennes?
Je vais me recueillir en les écoutant, je vais les
prendre à parti!
Statistiques du jour
Les États-Unis et l’univers carcéral…
Les États-Unis ont 5% de la population mondiale et 25% des prisonniers du
monde; la population américaine a augmenté d’un tiers depuis 1980, alors que sa
population carcérale a augmenté de 800% pendant la même période.
Eric Holder, ministres de la justice
américaine
La capacité olfactive d’un chien en chiffre!
Avec une capacité
olfactive de 200 000 à 1 million de fois plus puissante que celle de l'humain
et un cerveau dont le tiers est consacré à cette fonction.
Stéphanie Vallet, La Presse.ca
À quel âge naît la conscience chez l'enfant?
Pour répondre à cette question, une équipe franco-danoise a recherché, chez des nourrissons âgés de 5,12 et 15 mois, la présence de signaux cérébraux caractéristiques de la conscience chez l'adule: les ondes lentes tardives (OLT). Lorsqu'un stimulus est perçu par un sens, l'aire cérébrale correspondante est activée. Mais pour que l'individu ait conscience de cette perception, la stimulation doit durer assez longtemps pour être enregistrée par le cortex préfrontal, qui intervient dans la mémorisation et l'attention. Les OLT témoignent de cette activité. L'analyse des signaux cérébraux de 80 bambins a montré que les OLT se forment dès 12 mois. Plus rapides chez les enfants plus âgés, elles demeurent toutefois beaucoup plus lentes que celles des adultes. Plus surprenant, un profil évoquant les OLT a aussi été détecté chez des bébés de 5 mois. La perception consciente apparaîtrait donc très tôt au cours du développement, puis s'améliorerait progressivement, gagnant en rapidité au fur et à mesure de la maturation du cerveau.
Bio Futur, Le mensuel européen de biotechnologie juillet/août 2013 no 345
Différentes statistiques sur les enfants et les adolescents au Québec.
Québec,
19% des adolescents sont fumeurs, 23% des enfants présentent un surplus de
poids, 3 jeunes sur 5 ne font pas suffisamment d'activités physique pour en
obtenir des bienfaits et 15% présentent des symptômes reliés à des troubles de
santé mentale.
Faire
équipe pour l'éducation à la santé en milieu scolaire, Johanne Grenier,
2009
Dans le livre du jour, vous découvrirez un auteur qui a des affinités avec Michel Houellebecq, Montaigne ou encore Cioran. Il s’est vu décerner le prix Décembre pour l’essai dont on retrouvera certains passages ici. Le prix Décembre qui fait écho au prix Goncourt existe depuis 1989. Inutile de dire que je recommande tous ses recueils...
Dotée de 30 000 euros,
traditionnellement proclamée le lendemain du prix Goncourt, cette récompense
littéraire se veut toujours anticonformiste. Actuellement composé de Frédéric
Beigbeder, Pierre Bergé, Michel Crépu, Charles Dantzig, Jérôme Garcin, Cécile
Guilbert, Patricia Martin, Eric Neuhoff, Dominique Noguez, Philippe Sollers et
Arnaud Viviant, le jury est régulièrement renouvelé. Il était présidé cette
année par Laure Adler.
France Culture
Vidéo pour mieux connaître Frédéric Schiffter:
Livre du jour : Philosophie sentimentale
Donner son temps à une entreprise qui en disposera pour elle selon les nécessités ou les aléas du marché, et ne les destiner qu’à une activité professionnelle dont dépendront tous les autres moments de la vie, trahit un dégoût de soi - pouvant d’ailleurs se traduire en autodestruction physique, comme prouve l’actualité des suicides au travail.
Là où un gestionnaire de ressources
humaines utilise le terme de «motivation» pour désigner le zèle aveugle avec
lequel les néo-esclaves se plient corps et âme aux impératifs et aux mécanismes
de tel ou tel négoce, il faut entendre un violent vouloir-vivre sans
personnalité, ou, si l’on préfère, un vouloir-être inexistant, comme si ces
humains ayant éprouvé avec douleur leur émancipation de l’indifférenciation
animale n’avaient de cesse de se nier dans un travail impersonnel.
Nul choix délibéré, donc, dans leur orientation vers une vie de labeur collective et anonyme, nulle obéissance, non plus, à une contrainte, mais, simplement, la phobie native de s’individualiser doublée de l’appétit de se fondre dans un Tout – en témoigne la fierté avec laquelle beaucoup arborent la raison sociale de leur société comme une identité.
Pareil besoin de coller à un rôle de figuration sociale, à rebours de ce qu’affirme Sartre, ressortit à une conduite de bonne foi. Nietzsche dirait qu’elle atteste un «naturel esclave».
…
Quand Nietzche, toujours dans Aurore, rappelle que le travail est la
«meilleure des polices» parce qu’il «tient chacun en bride et entrave
puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de
l’indépendance», ses propos s’appliquent à merveille à une autre forme moderne
de dépossession du temps individuel et de synchronisation des existences :
les loisirs.
En tant que secteur avancé de l’industrie, mais surtout de la consommation, les loisirs, en s’inscrivant dans le
prolongement du travail des esclaves et en occupant une place de plus en plus
importante dans leur emploi du temps, consomment, pour parler comme Nietzche,
«une extraordinaire quantité de force nerveuse» et la soustraient «à la
réflexion, à la méditation, à la rêverie», «mettent constamment sous les yeux
des buts mesquins et des satisfactions faciles et banales» ; si bien que,
dans une société où les néo-esclaves cherchent à s’amuser coûte que coûte et en
permanence, la barbarie l’emporte sur la civilisation, ou, si l’on préfère, la
vulgarité sur le goût.
Car ce que les esclaves
contemporains appellent les loisirs – tout ce temps qu’ils sacrifient avec
frénésie à l’audiovisuel, à la communication informatique, aux pratiques et aux
exhibitions sportives, aux rassemblements festifs, aux spectacles de chanteurs
à la mode, au tourisme, aux réunions
amicales, aux causettes en réseau, etc. – s’opposent en tout point à la
façon dont les Anciens concevaient le loisir : alors que ceux-là cherchent
dans les programmes de divertissement pour tous à combler leur désir
d’impersonnalité, ceux-ci jouissaient de longs moments de retraite et de
tranquillité à la faveur desquels ils se trouvaient.
«Connais-tu au moins un homme qui accorde de la valeur au temps, à une
journée, qui sache qu’il meurt chaque jour?», demande Sénèque à Lucilius.
«Telle est notre erreur de voir la mort devant nous. En grande partie elle est
derrière nous et notre passée lui appartient.»
…
La moindre obligation sociale me lasse avant même que j’y sacrifie et
m’irrite si elle s’éternise. A peine suis-je en société que le vide me manque.
Rien ne m’est plus insupportable que la présence de bonhommes ou de bonnes
femmes pétant d’optimisme et embesognés à «avancer dans la vie» alors que, au
bout de leur trajectoire, leur tombe, déjà ouverte, les attend. Tout devient prétexte
à les fuir et, pour me soustraire à l’effervescence générale, à multiplier les
pauses : pause amour, pause rêverie, pause sieste, pause soleil, et, au
cours de ses pauses, encore des pauses où je tente d’atteindre à la totale
immobilité. Si bien que, mises bout à bout, toutes ces pauses finissent par
conférer à ma vie un air de dolce vita
qui n’a rien à envier à la vie bonne prônée par les philosophes et les poètes
antiques.
Toutefois quand je désire fausser compagnie aux fâcheux, alors que, par
nécessité, je me trouve parmi eux, je ne connais pas meilleure technique
d’absentéisme métaphysique que de me plonger dans un roman ou un essai que j’ai
coutume d’emporter partout avec moi. En cours, par exemple, je donne à mes
élèves un texte à commenter sur feuille en une demi-heure et, pendant ce
temps-là, je termine un chapitre commencé à l’heure précédente. Lors des
interminables réunions entre professeurs qui me retiennent au lycée, je feins
de m’absorber dans l’étude de tel ou tel document que l’on m’a distribué et
dans lequel je cache mon bouquin.
Serais-je moins bien élevé, je m’évaporerais pareillement quand je me
barbe avec des proches.
…
«L’homme ordinaire, souligne Schopenhauer, ce produit industriel que
fabrique la nature à la cadence de plusieurs milliers d’exemplaires par jour,
est incapable de cette aperception désintéressée» ; déterminé par ses
besoins qui le poussent à un utilitarisme de l’action et de la raison, «il ne
peut porter son attention sur la réalité que dans la mesure où elle se rapporte
à son vouloir vivre».
Capable, assurément, d’intelligence, de compétence ou de performance en tel ou tel domaine indispensable à la société (les sciences, les techniques, la politique, le commerce, etc.), l’homme ordinaire pèche par sa cécité intuitive à l’égard de ce qui constitue le substrat même de l’existence en général et de la sienne en particulier et, à fortiori, par son insensibilité devant les œuvres d’art qui expriment, révèlent, exposent l’omniprésence comme l’omnipotence de la Volonté. Redoutant les moments de loisirs qui lui donneraient la sensation vertigineuse de l’ennui, il cherche de nouvelles excitations dans quantité d’attractions, de divertissements et de jeux qui confortent le philistinisme de ses appétits et de son esprit.
Capable, assurément, d’intelligence, de compétence ou de performance en tel ou tel domaine indispensable à la société (les sciences, les techniques, la politique, le commerce, etc.), l’homme ordinaire pèche par sa cécité intuitive à l’égard de ce qui constitue le substrat même de l’existence en général et de la sienne en particulier et, à fortiori, par son insensibilité devant les œuvres d’art qui expriment, révèlent, exposent l’omniprésence comme l’omnipotence de la Volonté. Redoutant les moments de loisirs qui lui donneraient la sensation vertigineuse de l’ennui, il cherche de nouvelles excitations dans quantité d’attractions, de divertissements et de jeux qui confortent le philistinisme de ses appétits et de son esprit.
…
Ayant l’habitude d’assigner un but à leurs propres productions, une utilité
ou une fonction, les humains perçoivent l’ordre et la connexion des phénomènes
naturels à travers le prisme de leur imagination, de leurs émotions et de leurs
désirs tantôt contentés tantôt contrariés. Quand donc ils s’imaginent qu’une
chose existe pour telle ou telle finalité, ils ne font que prêter des
intentions à la nature.
Leur hallucination s’aggrave quand
ils conçoivent leur propre existence : ils se figurent que le fait d’être
des humains n’est pas qu’un simple fait, mais que leur raison d’être obéit à
une autre raison, vision fantasmatique qui leur fait accroire que la nature
aurait le dessein, en les «créant», de leur réserver un «empire» dans son
empire». L’anthropomorphisme est un délire.
Livre du jour
Philosophie
Sentimentale
Essai
Frédéric Schiffter
Blogue de Frédéric Schiffter : http://lephilosophesansqualits.blogspot.ca/
Contenu profond et passionnant. Citations superbes. Merci pour le partage.
RépondreEffacerAbigaëlle