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Citations du jour / Primo Levi / Rimbaud / Entrevue du jour

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At night, the base camp is illuminated by the light of the lava lake. 


Je vous invite à visiter l’album  qui accompagne la photo du jour au lien suivant :

 

http://www.boston.com/bigpicture/2011/02/nyiragongo_crater_journey_to_t.html

 



Entrevue du jour (en anglais) : Comment enseigner dorénavant les mathématiques 




Citations  du jour

 

“He gave man speech, and speech created thought, Which is the measure of the Universe”—Prometheus Unbound, Shelley
Human beings ... are very much at the mercy of the particular language which has become the medium of expression for their society. It is quite an illusion to imagine that one adjusts to reality essentially without the use of language and that language is merely an incidental means of solving specific problems of communication and reflection. The fact of the matter is that the “real world” is to a large extent unconsciously built up on the language habits of the group.

                               The Status of Linguistics as a Science, 1929, Edward Sapir


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C'est dangereux le succès. On commence à se copier soi-même et se copier soi-même est plus dangereux que de copier les autres... c'est stérile.                     
                               Pablo Picasso
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N'importe qui peut sympathiser avec les souffrances d'un ami. En revanche, sympathiser avec les succès d'un ami exige une très délicate nature.                      
                               Oscar Wilde
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On ne désire pas ce qu'on ne connaît pas.               
                               Ovide
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Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts.                    
                                Isaac Newton
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 If we spoke a different language, we would perceive a somewhat different world.
                                Ludwig Wittgenstein (1889-1951)


 

 

 

Né le 31 juillet 1919 à Turin, dans une famille juive de la bourgeoisie locale, Primo Levi est diplômé en chimie. Durant la Seconde Guerre mondiale, il rejoint les maquisards italiens qui luttent contre les Allemands et les fascistes. Capturé en décembre 1943, il se retrouve peu après au camp d’extermination d’Auschwitz, en Pologne, jusqu’à sa libération par l’armée russe en janvier 1945.
À son retour de captivité, il ressent le besoin d’écrire. Ce sera "Si c’est un homme", publié en 1947, récit de la survie dans l’univers concentrationnaire. Le livre ne connaîtra pas un succès immédiat mais il marquera fortement les esprits dans l’Europe d’après-guerre. Traduit dans une trentaine de langues, il sera intégré dans les programmes scolaires.
Primo Levi s’est donné la mort le 11 avril 1987.

 

 

 

Autant un individu peut être inadapté dans la vie, autant il peut tirer son épingle du jeu dans un contexte de survie comme Auschwitz. Je vous invite à lire le témoignage vrai de Primo Lévi sur un des membres du camp. Nous sommes ici dans un camp de concentration nazi (autour de 1945).


Article du jour :  Elias Lindzin

 

Elias Lindzin. 141565, atterrit un beau jour, inexplicablement, au Kommando de Chimie. C’était un nain, d’un mètre cinquante tout au plus, mais pourvu d’une musculature comme je n’en avais jamais vu. Quand il est nu, on voit chaque muscle travailler sous la peau, avec la puissance, la mobilité et l’autonomie d’un petit animal; agrandi dans les mêmes proportions, il ferait un bon modèle pour un Hercule; mais il ne faut pas regarder la tête.

Sous le cuir chevelu, les statures crâniennes forment de monstrueuses protubérances. Le crâne est massif, on le dirait de métal ou de pierre; la ligne noire des cheveux rasés descend à un doigts des sourcils. Le nez, le menton, le front, les pommettes sont durs et compacts; le visage tout entier fait penser à une tête de bélier, à un instrument fait pour frapper. Une impression de vigueur bestiale émane de toute sa personne.

C’est un spectacle déconcertant que de voir travailler Elias; les Meister polonais, les Allemands eux-mêmes s’arrêtent parfois pour l’admirer à l’œuvre. Alors que nous arrivons tout juste à porter un sac de ciment, Elias en prend 2 à la fois, puis 3, puis 4, les faisant tenir en équilibre on ne sait comment; et tout en avançant à petits pas rapides sur ses jambes courtes et trapues, de sous son fardeau il fait des grimaces, il rit, jure, hurle et chante sans répit comme s’il avait des poumons de bronze. Malgré ses semelles de bois, Elias grimpe comme un singe sur les échafaudages et court d’un pied léger sur les charpentes suspendues dans le vide; il porte 6 briques à la fois en équilibre sur la tête; il sait se faire une cuillère avec une plaque de tôle et un couteau et un couteau avec un morceau d’acier; il déniche n’importe où du papier, du bois et du charbon secs et sait allumer un feu en quelques instants sous la pluie. Il peut être tailleur, menuisier, cordonnier, coiffeur; il crache à des distances incroyables; il chante, d’une voix de basse pas désagréable, des chansons polonaises et yiddish absolument inconnues; il est capable d’avaler 6, 8, 10 litres de soupe sans vomir et sans avoir la diarrhée, et de reprendre le travail aussitôt après. Il sait se faire sortir entre les épaules une grosse bosse, et déambule dans la baraque, bancal et contrefait, en poussant des cris et en déclamant d’incompréhensibles discours, pour la plus grande joie des autorités du camp. Je l’ai vu lutter avec un Polonais beaucoup plus grand que lui et l’envoyer à terre d’un seul coup de tête dans l’estomac, avec la violence et la précision d’une catapulte. Je ne l’ai jamais vu se reposer, je ne l’ai jamais vu si silencieux ou immobile, je ne sache pas qu’il ait jamais été blessé ou malade.

De sa vie d’homme libre, personne ne sait rien. Il faut d’ailleurs un gros effort d’imagination et d’induction pour se représenter Elias dans la peau d’un homme libre. Il ne parle que le polonais et le yiddish abâtardi de Varsovie, et de toute façon il est impossible d’obtenir de lui des propos cohérents. Il pourrait avoir aussi bien 20 ans que 40; il aime à dire, quant à lui, qu’il est âgé de 33 et père de 17 enfants, ce qui n’est pas impossible. Il parle continuellement, et des sujets les plus disparates, toujours d’une voix tonnante, sur un ton grandiloquent, et avec une mimique outrée de déséquilibré, comme s’il s’adressait en permanence à un nombreux auditoire : et bien entendu le public que lui manque jamais. Ceux qui le comprennent se délectent de ses grands discours en se tordant de rire et lui donnent de grandes claques dans le dos pour l’encourager à poursuivre; et lui, farouche et renfrogné, continue son va-et-vient de bête fauve à l’intérieur du cercle de ses auditeurs, qu’il ne se fait pas faute d’apostropher au passage : il en agrippe un au collet de sa patte crochue, l’attire à lui à la force du poignet, lui vomit au visage une incompréhensible invective, fixe un instant sa victime interdite puis la rejette en arrière comme un fétu de paille, tandis que, au milieu des rires et des applaudissements, les bras tendus vers le ciel comme un petit monstre vaticinant, le voilà déjà repris par son éloquence furibonde et insensée.

Sa réputation de travailleur émérite se répandit très vite, et, conformément à la logique absurde du Lager, dès ce moment il cessa pratiquement de travailler. Les Meister le contactaient directement, et seulement pour les travaux requérant une adresse ou une force particulière. Outre ses prestations, il supervisait avec arrogance et brutalité notre monotone labeur quotidien, s’éclipsant pour des visites et des aventures mystérieuses dans quelque recoin inconnu du chantier, dont il revenait les poches gonflées, et souvent l’estomac manifestement plein.

Elias est un voleur par nature et en toute innocence : il témoigne en cela de la ruse instinctive des animaux sauvages. Il ne se laisse jamais prendre sur le fait car il ne vole que lorsque l’occasion est sans risque; mais lorsqu’une telle occasion se présente, Elias vole, fatalement, infailliblement, comme une pierre tombe quand on la lâche. Et quand bien même on réussirait à le surprendre – ce qui n’est guère facile -, il est clair qu’il ne servirait à rien de le punir pour ces vols : ils représentent pour lui un acte aussi naturel que manger ou dormir.

On pourra maintenant se demander qui est l’homme Elias. Si c’est un fou, un être incompréhensible et extra-humain, échoué au Lager par hasard. Si en lui s’exprime un atavisme devenu étranger à notre monde moderne, mais mieux adapté aux conditions de vie élémentaires du camp. Ou si ce n’est pas plutôt un pur produit du camp, ce que nous sommes destinés à devenir si nous ne mourons pas au camp, et si le camp lui-même ne finit pas d’ici là.

Il y a du vrai dans ces 3 hypothèses. Elias a survécu à la destruction du dehors parce qu’il est physiquement indescriptible -, il a résisté à l’anéantissement du dedans parce qu’il est fou. C’est donc avant tout un rescapé : le spécimen humain le plus approprié au monde de vie du camp. Si Elias recouvre la liberté, il sera relégué en marge de la communauté humaine, dans une prison ou dans un asile d’aliénés. Mais ici, au Lager, il n’y a plus de criminels qu’il n’y a de fous : pas de criminels puisqu’il n’y a pas de loi morale à enfreindre; pas de fous puisque toutes nos actions sont déterminées et que chacune d’elles, en sont temps et lieu, est sensiblement la seule possibilité.

Au Lager, Elias prospère et triomphe. C’est un bon travailleur et un bon organisateur, qualités qui le mettent à l’abri des sélections et lui assurent le respect de ses chefs et de ses camarades.  Pour ceux qui n’ont pas en eux de solides ressources morales, pour ceux qui ne savent pas tirer de la conscience de soi la force de s’accrocher à la vie, pour ceux-là, l’unique voie de salut est celle qui conduit Elias : à la démence, à la brutalité sournoise. Toutes les autres issues sont barrées.

Tout ceci pourrait nous conduire à dégager des conclusions et même des règles valables pour notre vie de tous les jours. N’existe-t-il pas autour de nous des Elias plus ou moins réalisés? N’en avons-nous pas vu, de nos yeux vu, des ces individus qui vivent sans but aucun, réfractaires à toute forme de conscience et de contrôle de soi? Et qui vivent non certes malgré ces déficiences, mais précisément, comme Elias, grâce à elles.

La question est grave, et nous n’entendons pas nous y engager ici, parce que notre récit se limite volontairement à la vie du Lager, et que sur l’homme hors du Lager on a déjà beaucoup écrit. Cependant nous voudrions ajouter un dernier mot : Elias, autant que nous puissions en juger du dehors, et si tant est que ces mots aient un sens, Elias était vraisemblablement un homme heureux.



Source : Si c’est un homme : Primo Levi

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Poète du jour : Rimbaud

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Le bateau ivre

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

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