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Claude Jasmin, La corde au cou

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Qu'est-ce que je me serais ennuyé si je n'avais pas été là. ...
                                                               Marcel Aymé

C’est aux toilettes que j’ai composé mes meilleures chansons.
                                                               Paul McCartney


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Article du jour
Je suis en voie de terminer la lecture d’un roman de Claude Jasmin, La corde au cou, son premier en l'occurence. C’est drôle de dire ça mais je trouve que  la meilleure partie, c’est sa préface! Après l’avoir lu, je me suis dit, j’ai le devoir de la faire partager aux autres!  Alors c’est ce que je vous dévoile aujourd’hui… Ça va vous demandera un peu d’effort mais le jeu en vaut la chandelle, très instructif!

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PRÉFACE DE La corde au cou de Claude Jasmin en primeur!

Dès dix-huit ans, chassé du collège André-Grasset , apprenti ouvrier spécialisé à l'École  du meuble, je rêvais de devenir écrivain. Je ¨barbouillais¨ des poèmes. Je lisais comme un fou,  gratuitement grâce aux bibliothèques de Montréal et de Saint-Sulpice, rue Saint-Denis. Je jonglais avec l'idée d'aller faire  de la radio en province d’abord, car je savais qu’il n’y avait aucun avenir, avec l’artisanat que j’étudiais; je devinais la peur, la faim; celles que je connaîtrais vraiment dans mon écurie plus tard... J'écrivais pour Nouveautés Dramatiques de Radio-Canada, je cherchais... Un roman..? Oui... mais quand?

Dans le resto la Casa italia, situé dans le quartier Villeray, nous étions une demi-douzaine de pauvres romantiques déjà labourés de frayeur. Quelques-uns se disaient de futur Picasso, Braque, Matisse, Klee ou Miro, d'autres, de futurs Camus, Malraux et Sartre du pays. Nous crachions sur les nôtres comme la jeunesse fait pour affirmer. Nous vivions -  les années cinquante débutaient – dans un désert culturel. On pouvait difficilement s'exprimer. Nos songes creux nous tenaient lieu de remparts. Nous parlions ¨suicide¨ déjà. Nous fomentions d'énormes révolutions... verbales. Le monde était un ramassis de vieillards cacochymes. Le Canada, une farce royaliste; le Québec, une grotte de favoritisme éhonté, une caverne de conservatisme éhonté, une caverne de conservatisme clérical gardé par des politicien retors! Oui, nous rêvions tous de nous exiler. En France, Plusieurs le firent. D’autres, privés de moyens, mariés jeunes, souvent pour échapper à la famille puritaine, engagés dans un travail alimentaire, prisonniers de toutes les façons, rongeaient leurs chaînes.

Un soir,  j’ouvre un cahier, j’y jette un titre de travail : La corde au cou, et je construis ce mensonge-vérité, cette fuite loin de la police à travers champs, le portrait d’un ¨pire que moi¨. C’était facile, il n’y avait qu’à regarder autour : Richard Blass, ennemi numéro Un depuis longtemps, n’était-il pas de ma paroisse, Sainte-Cécile? C’était facile : il y avait un ami malchanceux, un ancien copain qui avait mal tourné et déménagé en prison. Un voisin… Sa mère pleurait au comptoir de mon père dans son restaurant de la ¨petite patrie¨… Bref,  j’ai rédigé mon récit en vitesse. En transe. J’ai dactylographié trois copies et j’ai inscris l’adresse de la maison d’édition de Pierre Tisseyre, qui était située à l’époque, juste au-dessus d’une manufacture où deux de mes sœurs s’échinaient pour un salaire de famine, pour aider à payer mes études à moi le ¨garçon¨ de la famille. Je m’en souviens, c’était rue Molière, au coin  de Saint-Laurent. Puis, un jour,  au printemps de 1960, une lettre : ¨Monsieur… votre manuscrit intitulé … ¨ Le bonheur ! La joie ! La folie ! J’allais sortir de l’anonymat ! J’étais sauvé. Je serais écrivain, enfin!

Un peu partout, je laissais dire, on disait et on répétait que la corde au cou était le premier roman de Jasmin. C’était vrai dans un sens. C’est la corde au cou qui m’installait vraiment dans la  ¨cité littéraire¨. Dès sa parution, le roman était devenu une sorte de symbole. Le poète, journaliste et député indépendantiste Gérald Godin avait salué chaudement sa parution. Il faisait remarquer à ses lecteurs que la corde au cou était publié la même année que le livre-bombe du frère Untel, Jean-Paul Desbiens. En effet, en 1960, La Révolution tranquille s’amorçait.

Je fus un peu victime du succès populaire de mon premier roman. L’histoire que vous allez lire  n’est pas un conte rose, on aussi vite cru que l’auteur était un terrible révolté. Je l’étais. Un peu. Il m’a fallu jouer une sorte de rôle à la suite de ce succès, énorme pour l’époque, puisqu’on ne publiait que cinq ou six romans par année.

Je fus invité à parler dans des colloques, des séminaires et d’autres assemblées importantes de cercles divers, politiques et sociaux. Je faisais de mon mieux pour ressembler au narrateur de la corde au cou, un enragé, un homme en colère, à l’instar des ¨angry young men¨ d’Angleterre. Comme j’avais des tas de griefs à soulever, j’en ai profité. Gagner le prix du Cercle du Livre de France de Pierre Tisseyre à cette époque était une chance inespérée. Par la suite, il suffisait d’écrire des livres solides et de publier régulièrement. Vous étiez alors installé  ¨ en carrière ¨. Il y en eu plusieurs (des gagnants du CLF) qui disparurent de la scène littéraire. D’autres comme moi, se sont emparés de cette occasion pour s’acharner à inventer une œuvre. Quelle joie pour un auteur de voir ses premiers romans toujours en vie! Après la corde au cou, les romans Délivrez –nous du mal, Ethel et le terroriste,  Pleure pas Germaine et d’autres encore furent réédités en format de poche. Et puis tout est silence, c’état mon vrai ¨premier¨ roman et il n’avait pas fait l’unanimité chez les lecteurs du jury du CLF. Robert Élie, un membre du jury et dirigeant de la revue Les écrits du Canada français, avait voté pour mon manuscrit et avait donc vu à le faire publier.

Les lieux de la corde au corde au cou sont familiers aux étudiants qui sont des lecteurs fidèles de mes proses diverses depuis 1960. C’est le Nord, c’est les Laurentides. C’est le compté de Deux-Montagnes, Saint-Joseph-du-lac, Pointe Calumet. En 1958, j’avais vingt-sept ans, j’étais décorateur pour la jeune télévision publique et un réalisateur, habitant Saint-Adèle, m’avait engagé pour fabriquer les étalages d’une foire du livre tenue annuellement là-haut. C’était l’été. Je me rendais donc de Pointe-Calumet, où mon père avait son chalet, à Sainte-Adèle par des chemins de campagne. Ces navettes dans ma coccinelle VW deviendront le trajet de mon assassin. Il s’agit de Saint-Benoit, Belle-Rivière, Sainte-Monique, Saint-Augustin, Sainte-Scholastique, Bellefeuille, vers enfin Saint-Jérôme et Saint-Adèle. Robert Choquette, poète, ambassadeur, feuilletoniste de radio longtemps, un résidant du village de Séraphin, parrainait ladite foire avec ¨Madame¨. Ils m’amenèrent  me reposer à la piscine des Bronfman (Driftman dans le roman). Leur très jolie jeune fille nous accompagnait et… il fallait que le ¨simple décorateur¨ s’en tienne éloigné. Comme si j’avais la gale! Enfin, je ne peux pas décrire ici tout ce qui a fait la trame du roman, je veux seulement laisser voir que La corde au cou, comme tous mes ouvrages, provient de sensations, d’émotions éprouvées, de sentiments vécus, des lieux vus, habités, etc.

J’avais des raisons de vouloir rédiger un roman rude. Je suppose que, depuis 1960, on sait un peu mieux pourquoi et de quoi je parle, d’où je viens, ce qui me fait crier. Je n’avais que peu d’expérience en écriture, il fallait donc camoufler mes déficiences et j’ai choisi, par prudence, une écriture sobre. Les critiques du temps (Jean Paré surtout) parlèrent de mon style  ¨mitraillette¨. En réalité, c’est moi qui étais mitraillé par la grammaire que j’ignorais pas mal. Tel l’infirme qui cache sans cesse son handicap, j’avais jugé bon de faire mine de marcher droit, en marchant… vite!

On sait peut-être qu’un pionnier du cinéma fit un film avec La corde au cou avec, en héros-tueur-fuyard, un jeune acteur populaire du temps, Guy Godin. Ce fut un long métrage assez banal. Pierre Patry, le réalisateur, et son épouse étaient, disons, amoureux du roman. Le film allait s’en ressentir. C’est lent, on y montre tout. Il manque le souffle d’une adaptation; c’est essentiel quand on veut passer d’une histoire littéraire à une histoire cinématographique. Mais j’ai bien aimé le film. Il montrait davantage un album d’illustrations qu’un bon film, les lieux qui avaient inspiré mon récit de mort, de rage, de vengeance et de suicide. Quoi qu’il en soit, chaque année, bien après 1960, Pierre Tisseyre me faisait savoir que La corde au cou se vendait toujours. Je recevais de nouveaux exemplaires, la couverture changeait de couleur! J’étais content, je l’ai dit, de voir que ce premier roman, écrit en un mois à 27 ans, devenait un classique québécois. Je jouirais encore de ce plaisir avec Ethel et le terroriste et Pleure pas Germaine.

J’ai relu récemment La corde au cou. Je voulais savoir ce que j’y avais mis au juste pour qu’il ¨marche¨ si longtemps... Je n’ai jamais su! Un auteur ne voit pas bien. Chose certaine, je l’aimais encore, j’y étais attaché, c’était évidemment de très bons souvenirs et puis, tant pour ma modestie, je l’avais lu d’une traite! C’était peut-être là le secret du succès? Être  pris par ce personnage malheureux, mal né, mal dans sa peau, ce demi voyou, ce délinquant à moitié récupéré par le syndicalisme. Oui, j’avais été captivé par ses regrets, par son désespoir. Espérons que cette magie fonctionnera encore pour le public de cette fin de siècle.

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