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Emil Cioran, Foglia sur Harvey Milk

Vidéo du jour, je vous incite fortement à regarder ce vidéo, il présente la vie de Cioran, c'est vraiment génial, un bijou...

http://video.google.ca/videoplay?docid=1231982676025548025&ei=BGzISbueKYGqrwLZyej2Ag&q=cioran&hl=fr

Durée :  49 minutes et 13 secondes



Citations

L'homme est le cancer de la terre.

                                        Emil Cioran

Vivre à même l'éternité, c'est vivre au jour le jour.
                                        Emil Cioran

Dire que tant et tant ont réussi à mourir!
                                        Emil Cioran


À quoi bon fréquenter Platon, quand un saxophone peut aussi bien nous faire entrevoir un autre monde ?
                                        Emil Cioran


 [...] la pensée de la mort aide à tout, sauf à mourir!

                                         Emil Cioran


Vie  de Cioran, on dit de lui que c'est le digne successeur de Nietzsche, il avait la réputation d’être un pessimiste.


Emil Cioran

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Emil Cioran, né le 8 avril 1911 à Răşinari en Roumanie, mort le 20 juin 1995 à Paris, est un philosophe et écrivain roumain, d'expression roumaine initialement, puis française à partir de 1949 (Précis de décomposition). Bien qu'ayant vécu la majeure partie de sa vie en France, il n'a jamais demandé la nationalité française. Il a parfois signé sous le nom de « E. M. Cioran[1] ».

Tombe de Cioran - cimetière Montparnasse

Biographie [modifier]


La maison natale d'Émil Cioran à Răşinari, en Roumanie.
Cioran naît d'un père prêtre orthodoxe et d'une mère athée. Après quelques années de vie heureuse à Răşinari, petit village de Transylvanie, alors sous domination austro-hongroise, Cioran est traumatisé par un déménagement vers Sibiu, ville proche du village. Son compatriote Lucian Blaga, philosophe de la culture, a aussi décrit le rôle matriciel que pouvait avoir un village roumain. Ce choc, ainsi que les relations difficiles avec sa mère et les nombreuses insomnies dont il souffre durant sa jeunesse, façonnent rapidement sa vision pessimiste du monde et lui font penser au suicide.
Il fait des études de philosophie à l’Université de Bucarest dès l’âge de 17 ans. Ses premiers travaux concernent Kant, Schopenhauer et, particulièrement, Nietzsche. Il obtient sa licence en 1932, après avoir terminé une thèse sur Bergson, dont Cioran rejette plus tard la philosophie, qu'il juge n’avoir pas compris la tragédie de la vie. En 1933, il va à l'Université de Berlin.
À 22 ans, il publie Sur les cimes du désespoir, son premier ouvrage, avec lequel il inscrit, malgré son jeune âge, son nom au panthéon des grands écrivains roumains. Après deux années de formation à Berlin, il rentre en Roumanie, où il devient professeur de philosophie au lycée Andrei Şaguna de Braşov pendant l'année scolaire 1936-1937. Dans son pays d'origine, Cioran côtoya brièvement, en compagnie de Mircea Eliade, des membres du mouvement fasciste et antisémite de la Garde de fer. En 1936 Cioran publie La Transfiguration de la Roumanie (Schimbarea la faţă a României) où il développe une pensée passablement xénophobe et antisémite : « Les Hongrois nous haïssent de loin tandis que les Juifs nous haïssent du cœur même de notre société » [2] et « Le Juif n’est pas notre semblable, notre prochain, et, quelle que soit l’intimité entretenue avec lui, un gouffre nous sépare »[3]. Bien plus tard, Cioran biffe les passages les plus antisémites pour l'édition française [4] .
En 1937, son troisième ouvrage, Des larmes et des saints, fait scandale dans son pays. Cioran s'installe alors à Paris pendant l'occupation, grâce à une bourse, afin d'y terminer sa thèse sur le philosophe Bergson. Il abandonne alors toute idéologie pour se consacrer à l'écriture. Il est fortement influencé par la philosophie nihiliste, en particulier Schopenhauer et Spengler, mais également par Nietzsche.
Ces influences et son passé conduisent naturellement Cioran à détruire, à travers ses ouvrages, toute idéologie. Refusant les honneurs, il décline entre autres le prix Morand décerné par l'Académie française. Son œuvre, essentiellement composée de recueils d'aphorismes, marquée par l'ascétisme et l'humour, connaît un succès grandissant. En retour, il préserve un rapport ambivalent au « succès » : « J'ai connu toutes les formes de déchéance, y compris le succès. »
Les communistes qui ont pris le pouvoir en Roumanie après la Seconde Guerre mondiale ayant interdit ses livres, il reste à Paris jusqu'à la fin de son existence, vivant assez pauvrement, rédigeant dorénavant ses ouvrages en français, tout en traduisant par ailleurs les poèmes de Stéphane Mallarmé en roumain. Il y est entouré par des penseurs et des écrivains tels que Eugène Ionesco, Mircea Eliade, Samuel Beckett, Henri Michaux ou Gabriel Marcel, et par quelques lecteurs fanatiques mais peu nombreux.
Après la guerre, il écrit toute une partie de son œuvre en français, abandonnant totalement sa langue maternelle, le roumain : « En français, on ne devient pas fou », sous-entendu pour un non-francophone de naissance en raison de la syntaxe particulière de la langue.
L'œuvre de Cioran, ironique et apocalyptique, est marquée au sceau du pessimisme, du scepticisme et de la désillusion. En 1973, Cioran publie son œuvre la plus marquante : De l'inconvénient d'être né. En 1987, il publie son ultime ouvrage, Aveux et anathèmes, avant de mourir, huit années plus tard, en 1995 de la maladie d'Alzheimer sans avoir mis à exécution son projet de suicide .

La pensée de Cioran [modifier]


L'œuvre de Cioran comporte des recueils d'aphorismes, ironiques, sceptiques et percutants, tel De l'inconvénient d'être né, qui forment ses œuvres les plus connues, mais on peut aussi y trouver des textes plus longs et plus détaillés. D'une façon générale, l'œuvre de Cioran est marquée par son refus de tout système philosophique. Son scepticisme est probablement son caractère le plus marquant, bien plus que son pessimisme. Cioran, dont les écrits sont assez sombres, est un homme de très bonne compagnie, plutôt gai. Il déclare avoir passé sa vie à recommander le suicide par écrit, et à le déconseiller par oral, car dans le premier cas cela relève du monde des idées, alors que dans le second il a en face de lui un être de chair et de sang. Tout en conseillant et déconseillant le suicide, il affirme qu'il existe une supériorité à la vie face à la mort: celle de l'incertitude. La vie, la grande inconnue, n'est basée sur rien de compréhensible, et ne donne pas l'ombre d'un argument. Au contraire, la mort, elle, est claire et certaine. D'après Cioran, seul le mystère de la vie est une raison de vivre.
On peut, à tort, accuser Cioran d'avoir pris dans ses écrits une « pose » de désespoir. Il semble avoir été profondément triste de ne pas pouvoir établir de système qui donnerait un sens à sa vie, alors même que dans sa jeunesse il avait été extrêmement passionné (cf. les Cimes du désespoir).
Son désespoir n'est pas feint, mais exclusivement philosophique, et lié à cette impossibilité à comprendre le monde et l'Homme, ou peut-être de l'avoir trop bien compris.
Le cheminement littéraire de Cioran et son trajet spirituel ont, semble-t-il, trois points de repère majeurs ( selon Liliana Nicorescu ) : « la tentation d'exister », la tentation d'être Roumain, et la tentation d'être juif. Ni sa roumanité réfutée ni sa judéité manquée ne pouvaient lui offrir la moindre consolation pour l'humiliation, pour « l'inconvénient d'être né ».

Le salut dans l'esthétique [modifier]

Confronté à la pensée de la lucidité, au reniement permanent, Cioran trouve un sursis dans la voie esthétique. Il reprend clairement le thème de l'illusion vitale (Nietzsche). L'attention au style de son écriture, le goût prononcé pour la prose et les aphorismes deviennent, par exemple, des moteurs assurant sa vitalité. Il s'éloigne des idées, perdant parfois son lecteur, ou plutôt l'obligeant à ne pas tout comprendre. La poésie devient autant un moyen de traduire sa pensée qu'un remède temporaire face à la lucidité. « Elle a — comme la vie — l'excuse de ne rien prouver. »
Tentative qu'il juge honteuse, trop vivifiante, détestable parfois, Cioran s'y laisse pourtant conduire. Il accepte ce paradoxe de sa pensée, comme d'autres. Lucide, il perçoit aussi l'imposture du nihiliste qui est encore vivant : « Exister équivaut à un acte de foi, à une protestation contre la vérité ». Si Cioran doit survivre aux vérités irrespirables, s'il est donc obligé de croire en quelque chose, il choisit délibérément l'art, l'illusion reine. Pour échapper à la mort et au vide, qu'il entrevoit autour de lui, comme une « porte de secours », il choisit l'écriture. Semblable à la figure moderne de l'artiste maudit, auteur peu lu et presque inconnu de son vivant — malgré l'estime du milieu littéraire — Cioran continuera inlassablement d'écrire. Sa philosophie est une "philosophie du voyeur", car, peut-être, esthétiquement salvatrice, selon la définition de Rossano Pecoraro dans "La filosofia del voyeur. Estasi e Scritura in Emile Cioran".

L'ascétisme parisien [modifier]

Arrivé en France, Cioran s'installe à Paris. Il emménage à l'hôtel Marignan, au 13 de la rue Sommerard dans le cinquième arrondissement. C'est dans le Quartier Latin et le quartier de La Sorbonne qu'il va rester jusqu'à sa mort. Dans ses écrits, il relate ses longues nuits de solitude et d'insomnies, dans de minuscules chambres d'hôtel et ses déambulations dans la nuit. Puis plus tard, ses chambres de bonne, unique tour d'ivoire pendant de longues années. Il reste pauvre, décidé à « ne jamais travailler ». Alors il se promène simplement au Jardin du Luxembourg. Il bénéficie parfois de l'aide matérielle de rares amis, mais prend ses repas au restaurant universitaire, dont l'exclusion vers l'âge de quarante ans est l'un des moments les plus tragiques de son existence.
Ces détails sur son quotidien traversent son œuvre et son discours. Mais Cioran n'explore nullement l'aspect sordide dans cette condition. Il décrit simplement une sorte de cheminement ou de combat, qui s'établit autant dans ses écrits que dans son existence : un « état d'esprit ». Pour Cioran, il ne s'agit plus seulement de savoir — à l'identique du professeur d'université — mais surtout de « sentir ». Dans la solitude, le dénuement matériel et son retrait des divertissements modernes s'établit alors une démarche philosophique — spirituelle — comparable aux ascétismes prônés par le bouddhisme[5], les Cyniques ou Diogène de Sinope.[6]

Le mythe Cioran [modifier]

Si Cioran vécut véritablement la plus grande partie de son existence modestement, cet autoportrait de solitaire et désespéré qu'il dresse dans ses livres ne correspond pas entièrement à l'écrivain ; c'est plutôt là le mythe Cioran, le personnage des livres. Mais parler de « pose » dans le désespoir serait inexact. Parce que Cioran critique vivement les auteurs de discours moralistes qui mènent par ailleurs une existence immorale, il cherche lui-même la sincérité dans ses textes, c’est-à-dire l'adéquation de son discours avec son existence. Il dira vouloir seulement garder secrète sa vie privée : sa vie amoureuse, la part heureuse et optimiste de son existence. Car le bonheur n'est pas fait pour les livres, expliquait-il.
Se tenant à l'écart du milieu universitaire et littéraire parisien, il eut néanmoins quelques amis intimes avec qui il aimait converser : Mircea Eliade, Eugène Ionesco, Samuel Beckett, Gabriel Matzneff, etc.

Critiques et opinions [modifier]

L'œuvre de Cioran ne semble pas sujette à une controverse particulière. Elle bénéficie d'une notable acceptation, dans les médias, peut-être due à un effet de mode, depuis sa redécouverte récente. Ou bien est-elle simplement ignorée, sans critique commentée, dans les débats littéraires et philosophiques actuels. Le grand public la jugera souvent pessimiste, voire morbide.
On peut dégager parfois une critique contre l'excès stylistique ou le classicisme de son écriture, qui compromettraient la diffusion des idées. Ou bien un manque de profondeur de sa recherche philosophique, dans le sens où Cioran reprend des idées nietzschéennes, en les illustrant simplement.

Anecdotes [modifier]

  • Cioran refusa tous les prix littéraires (Sainte-Beuve, Combat, Nimier, Morand, etc.) à l'exception du prix Rivarol en 1949, acceptation qu'il justifia par un besoin financier.
  • En 1940, place Saint-Michel, il « faillit être la première victime » de l'entrée des Allemands dans Paris, parce qu'il lançait des paquets de cigarettes à un convoi de prisonniers.
  • Invité dans une université états-unienne, et présenté comme l'égal des plus grands philosophes, il déclara inquiet : « Mais je ne suis qu'un plaisantin ! »

Œuvres [modifier]

Les cinq premiers titres parurent initialement en roumain :
  • Sur les cimes du désespoir (1934)
  • Le Livre des leurres
  • Transfiguration de la Roumanie (1936)
  • Des larmes et des saints (1937)
  • Le Crépuscule des pensées
  • Bréviaire des vaincus
  • Précis de décomposition (1949)
  • Syllogismes de l'amertume (1952)
  • La Tentation d'exister (1956)
  • Histoire et Utopie (1960)
  • La Chute dans le temps (1964)
  • Le Mauvais Démiurge (1969)
  • Valéry face à ses idoles (1970)
  • De l'inconvénient d'être né (1973)
  • Essai sur la pensée réactionnaire. À propos de Joseph de Maistre (1977), Fata Morgana (d'abord publié comme préface d'un recueil de textes de Joseph de Maistre en 1957 aux éditions du Rocher)
  • Écartèlement (1979)
  • Ébauches de vertige (1979)
  • Exercices d'admiration (1986)
  • Aveux et Anathèmes (1987)
  • L'Ami lointain : Paris, Bucarest (1991)
  • Entretiens (1995)
  • Cahiers, 1957-1972 (1997)
  • Cahier de Talamanca (Mercure de France 2000)
  • Solitude et destin (Gallimard-Arcades 2004)
  • Exercices négatifs (Gallimard 2005)
  • Œuvres (Gallimard-Quarto 1995)

Manuscrits [modifier]

Après la mort de Simone Boué, une série de manuscrits (environ 30 cahiers) écrits par Cioran ont été récupérés lors du vidage de l'appartement. Ils contiennent en particulier tous les cahiers de son journal à partir de 1972, soit l'année où les Cahiers déjà publiés s'arrêtent.
Les manuscrits ont été acquis pour être mis aux enchères en décembre 2005. Toutefois, leur commercialisation a été interrompue par la Cour d'Appel de Paris. On reste donc pour l'instant dans l'attente de la résolution judiciaire de l'affaire.



Article intéressant sur Cioran, un grand philosophe roumain qui a écrit en français, langue de son pays d'adoption, la France.



 
Le Monde
Vendredi, 13 juin 1997, p. 6

LE MONDE DES LIVRES
L'insoutenable légèreté de la vie
Une excellente livraison des "Cahiers de l'Herne" sur Schopenhauer et ses fils spirituels. Parmi ceux-ci, Cioran, auquel Patrice Bollon consacre un essai sans complaisance

JACCARD ROLAND
Arthur Schopenhauer répétait volontiers à ses interlocuteurs qu'une philosophie où l'on n'entend pas bruire à travers les pages les pleurs, les gémissements, les grincements de dents et le cliquetis formidable du meurtre réciproque et universel n'est pas une philosophie. La seule évocation du Dieu de la Bible jetant un regard sur le monde qu'il venait de créer et trouvant que tout y était bien suscitait son courroux. Il lui semblait incomparablement plus juste de dire que c'est le diable qui a créé le monde plutôt que Dieu.
Cette pensée de l'auto-anéantissement et de l'extinction de l'espèce, il l'admirait chez les moines du Moyen Age et chez les sages de l'Inde. Les premiers détestaient si énergiquement la vie que la morale se résumait à leurs yeux en un seul mot : mortification. Les autres faisaient mieux encore : ils vivaient comme ne vivant point, dans la méditation tranquille et silencieuse du nirvana, "c'est-à-dire dans l'extase de l'anéantissement".
L'oncle Arthur, lui, coulait des jours tranquilles à Francfort, distillant le pessimisme le plus corrosif avec une incurable bonne humeur. Il recevait ses hôtes à l'Hôtel d'Angleterre, lançait quelques sarcasmes, se livrait à des exercices de misanthropie, ridiculisait tous ceux qui mettaient leurs espoirs dans le progrès ou, pis encore, dans la révolution. Quand il ne traduisait pas le jésuite espagnol Baltasar Gracian ou n'ajoutait pas quelques compléments à son chef-d'oeuvre, Le Monde comme volonté et comme représentation omenait son bel épagneul noir qu'il avait nommé Atma "âme du monde", en sanscrit, auquel il accordait des qualités qu'il refusait aux humains. S'il aimait tant les chiens, disait-il, c'est qu'il ne trouvait qu'en eux une intelligence dépourvue de toute dissimulation. Quand il mourut, au matin du 21 septembre 1860, à l'âge de soixante-douze ans, ses voisins surnommèrent son chien, auquel il avait légué une rente, " Schopenhauer junior". Ses derniers mots furent : "Eh bien, nous nous en sommes bien tirés. Le soir de ma vie est le jour de ma gloire, et je dis, en empruntant les mots de Shakespeare : "Messieurs bonjour, éteignez les flambeaux, le brigandage des loups est terminé."
Excentrique, inclassable, paradoxal, Schopenhauer reste, plus qu'aucun autre, le philosophe dont l'influence fut la plus profonde sur les penseurs et les écrivains que nous tenons aujourd'hui pour les plus grands. Nietzsche, bien sûr, mais aussi Proust, Wittgenstein, Freud, Thomas Bernhard et Cioran. Pour s'en convaincre, il n'est que de lire l'exceptionnelle livraison des Cahiers de l'Herne où les meilleurs spécialistes ont été convoqués par Guy Lefranc. On trouvera également dans ce numéro des extraits des Manuscrits de jeunesse, des entretiens avec des curieux ou des disciples et le fameux essai sur les femmes, qui a donné de l'urticaire à des générations de féministes.
Parmi les neveux de l'Oncle Arthur, Cioran est sans doute celui qui lui ressemble le plus. Nietzsche n'aura eu de cesse de dépasser le nihilisme de son maître, Wittgenstein d'affronter les problèmes de logique et de se heurter au mur du langage, Proust de construire une oeuvre qui effacera sa dette, Freud de faire dialoguer sur son divan la Volonté et la Représentation et Thomas Bernhard de provoquer par sa drôlerie désespérée l'extinction tant désirée. Cioran, lui, répète Schopenhauer avec son tempérament. Comme l'écrit Marta Petreu dans l'Herne, il s'agit plutôt d'une affinité basée sur ce que Cioran appelait sa "constitution organique", prédisposée à des réactions physiologiques exacerbées. Et comme, aux yeux de Cioran, seules les pensées engendrées par une physiologie détériorée ont quelque valeur, la philosophie de Schopenhauer devait lui apparaître comme une "confirmation" de sa propre manière de sentir, de réfléchir, plutôt qu'une source d'inspiration.
Marta Petreu trace un parallèle saisissant entre les thèmes et même les phrases de Cioran et de Schopenhauer. Et elle recourt à une explication qui fera grincer les dents des rationalistes, mais qui a un évident pouvoir de séduction. "On sait, écrit-elle, que Schopenhauer, sous l'influence de l'hindouisme, avait théorisé l'idée de l'éternité circulaire, de la réincarnation des individus qui ne parviennent pas à annihiler leur volonté de vivre. La pensée et la personnalité de Cioran, si proches de celle de Schopenhauer, ne seraient-elles pas la preuve que l'auteur du Monde comme volonté... ne réussit pas à mettre d'accord sa propre biographie avec sa conception en demeurant, jusqu'à la fin, prisonnier de sa volonté de vivre... ?".
ÉGAREMENTS
Prisonnier de sa volonté de vivre, Cioran le fut également et jusqu'à sa maladie finale, ce qui, de la part d'un homme qui avait maintes fois proclamé qu'il préférait un concierge qui se pend à un poète vivant, ne manquait pas d'être un paradoxe un peu douloureux. Patrice Bollon, qui se targue d'avoir été un de ses proches, raconte dans son livre, Cioran, l'hérétique, que, bien que travaillant dans un journal situé juste en face de l'hôpital où Cioran était alité, il se refusait à traverser la rue pour aller le voir : "Je ne voulais pas être le témoin de la déchéance intellectuelle d'un homme dont je garde encore en mémoire l'humour et ce qu'il appelait, et dont il fournissait un exemple vivant, la 'légèreté'."
On trouvera dans son essai des portraits justes et émouvants de Cioran, mais aussi des considérations un peu oiseuses sur son nihilisme, que Bollon conteste. Sur ce point, il ne parvient pas vraiment à nous convaincre, peu importe. L'intérêt de son livre n'est pas là, mais dans l'enquête qu'il a menée sur la jeunesse roumaine et les années allemandes de Cioran.
On souffre de lire sous la plume de l'auteur de De l'inconvénient d'être né des insanités antisémites et pronazies. On souffre tout autant de sa "dissimulation" : lui le sceptique, lui l'apatride, lui que ses lecteurs et amis tenaient pour la loyauté et la générosité mêmes, comment a-t-il pu recouvrir d'un voile pudique ses aberrations nationalistes ? Bollon voit dans le chemin qui l'aura conduit "des ténèbres les plus intenses à la lumière" la valeur d'exemple de sa philosophie. Mais il ajoute, et sur ce point nous ne pouvons que lui donner raison, que la démonstration eût été plus éclatante encore si Cioran avait reconnu son égarement autrement que du bout des lèvres. "Il ne l'a pas fait; et ce demi-silence relativise indiscutablement la valeur de son éthique."
Sans doute est-ce le propre de ceux que nous avons le plus aimés de nous laisser désemparés et déçus... Une manière comme une autre de nous confirmer que notre confiance est toujours mal placée, notre lucidité battue en brèche, notre amitié inconvenante, notre pessimisme trop superficiel... et que le "brigandage des loups" ne s'achèvera que le jour de notre mort.
SCHOPENHAUER L'Herne, 433 p., 300 F.




Chronique intéressante de Foglia sur Harvey Milk mettant en vedette Sean Penn


L'ACTEUR - J'ai entendu parler de Sean Penn bien avant de le voir dans un film. C'était dans un livre de Bukowski qui parlait de son jeune ami d'Hollywood «pas trop pute» qui venait parfois le visiter dans son taudis avec sa connasse de fiancée (à l'époque Madonna) qui s'emmerdait à mourir tandis qu'ils parlaient poésie.
Je viens de voir Sean Penn dans Harvey Milk le rôle qui lui a valu l'Oscar du meilleur acteur le mois dernier. Un très beau film sur l'espoir réalisé par Gus Van Sant qui n'est pas le plus nono des réalisateurs d'Hollywood - Elephant, To Die For, etc. Un très beau film servi par un grand acteur dans le rôle d'un activiste gai qui empêchera la Californie de basculer dans le camp des bigots avant d'être assassiné en même temps que le maire de San Francisco.
Sean Penn est évidemment très crédible en activiste, ce qu'il est dans la vraie vie, mais il est aussi incroyablement convaincant dans sa «gaititude», sans jamais charger ni céder au moindre cliché. Il pourrait, dans le même habit et la même posture, tout aussi bien être straight s'il n'embrassait pas de temps de temps son chum sur la bouche avec une réelle conviction.
C'est un film sur un activiste gai. Mais c'est aussi un film sur le métier d'acteur et son utilité.