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Montcalm et Wolfe / Herzog encore!!!! / Citations du jour‏

Citations du jour

L'historien est en effet mal placé pour reconstituer le passé d'une façon authentique. Cet homme qui se veut le témoin fidèle d'une société disparue est né parfois 2 ou 3 siècles après ce qu'il veut décrire. Il a grandi dans un monde absolument différent. Il parle une langue dont les mots n'ont plus toujours le même sens.
                       Marcel Trudel, historien québécois




Je suis profondément convaincu que le vrai fascisme est ce que les sociologues ont trop gentilment nommé ¨la société de consommation¨, définition qui paraît inoffensive et purement  indicative. Il n'en est rien... la télévision est au moins aussi répugnante que les camps  d'extermination.
                                 Pasolini




Au début du siècle dernier, 2 enfants choyés grandissent à Paris dans un foyer d’où jouets et poupées sont rigoureusement proscrits. Leur mère a résolu d’encourager le développement de leur esprit, et sa méthode produit des résultats étonnants. Dès l’âge de 9 ans, André Weil, né en 1905, est capable de résoudre des équations complexes; à 12 ans, il connaît le grec ancien et le sanskrit, qu’il a appris seul; il est déjà bon violoniste. Sa sœur Simone, de 3 ans sa cadette, est une belle enfant aux yeux noirs et au regard limpide. A 5 ans, elle lit le journal du soir  à ses parents; elle maîtrisera le grec et plusieurs langues modernes à l’adolescence. Frère et sœur s’amusent à parler en rimes ou en grec ancien. Ils se récitent du Corneille et du Racine, et si l’un ou l’autre se trompe ou trébuche sur un vers, l’autre lui donne une gifle. Ils vivent dans un monde à part; quoiqu’ils ne cherchent pas à exclure, leurs conversations truffées d’allusions littéraires et philosophies ont de quoi mystifier quiconque ne fait pas partie de leur cercle intime. Comment deviner, par exemple, que lorsque Simone récite la lamentation de Phèdre pour Hippolyte, cela signifie qu’elle a terminé sa composition latine et qu’elle est prête à étudier Eschyle avec André, s’il a fini ses exercices de calcul différentiel?

                  Francine du Plessix Gray sur la vie de Simone
                                                                        Weil

Francine du Plessix Gray




Article passionnant sur  Montcalm et Wolfe

Article du jour 1 :  Nouvelle-France: La grande aventure
http://www.crc-resurrection.org/Canada/RC/images/Bataille_Plaine-Abraham.jpg


Dimanche Magazine, dimanche, 24 août 1997, p. B7

Bataille des plaines d'Abraham: Petite histoire d'un grand désastre
Québec se rend, alors que la victoire est encore possible


Lemieux, Louis-Guy
Une petite demi-heure. La bataille des plaines d'Abraham, ce matin du 13 septembre 1759, aura duré, en tout et pour tout, moins d'une heure. C'est un court moment d'histoire lourd de conséquences. Il annonce la ruine de l'empire français d'Amérique. Une année plus tard, la Nouvelle-France capitule. En 1763, le traité de Paris scelle le destin des Canadiens français. L'historien Guy Frégault appelle ce fameux 13 septembre: «la Journée des Fautes». Les deux généraux français et anglais, Montcalm et Wolfe, commettent des erreurs impardonnables. Ils sont en dessous de tout. Québec se rend alors que la victoire est encore possible.

Pendant que 4800 soldats anglais se rangent en ordre de bataille sur les Plaines, après avoir débarqué à l'anse au Foulon et escaladé la falaise durant la nuit, le général Montcalm dort sur ses deux oreilles au camp de Beauport.

Vers 4 h du matin, un Canadien arrive à bout de souffle porteur de la mauvaise nouvelle. Le secrétaire du général, Marcel, réveille son chef. Montcalm refuse d'entendre le messager : il est impossible à une armée d'arriver aux Plaines par la falaise. Il engueule son secrétaire et se recouche.
Une heure plus tard, un second messager arrive à Beauport avec un message du lieutenant-colonel de Bernetz qui commande Québec en l'absence de Ramezay. Cette fois, le doute n'est plus permis. Montcalm se lève en crachant tous les jurons de la terre, selon son habitude. Vers 6 h, il se met en marche avec ses troupes en direction de Québec. Il aurait mieux fait de rester couché.

La bataille de Montcalm
http://mrsoestreich.org/Portrait_of_Montcalm.JPG
L'armada anglaise, forte de 49 vaisseaux de guerre et de 119 transports de troupes, arrive devant Québec en juin. L'armée s'installe à l'île d'Orléans et à la pointe Lévy.
Wolfe commande 8500 soldats. Montcalm a sous ses ordres plus de 15 000 hommes, en comptant les soldats réguliers, les miliciens canadiens et les alliés indiens ; il a l'avantage de tenir une position fortifiée que l'ennemi doit prendre d'assaut.

Les Anglais n'ont que quelques mois pour se rendre maîtres de Québec. L'hiver est le meilleur allié de Montcalm. Il n'a qu'à contenir l'ennemi jusqu'à la saison froide et celui-ci devra s'en retourner chez lui Gros-Jean comme devant. C'est compter sans l'accumulation des erreurs de jugement et des fautes stratégiques.

Première erreur majeure : la pointe Lévy, en face de Québec, est laissée sans défense ; l'amiral Charles Saunders y installe 3000 hommes et des batteries puissantes.
Les Canadiens avaient mis Montcalm en garde à ce sujet. Le général français et son état-major avaient jugé la distance trop grande pour que l'artillerie puisse bombarder la ville. Mauvaise évaluation. Durant deux mois, les artilleurs anglais peuvent bombarder Québec jour et nuit. Ils réduisent la capitale en ruines.
Quand Vaudreuil autorise un détachement de volontaires et de soldats réguliers à attaquer la pointe Lévy, il est trop tard. La position est imprenable.

Deuxième erreur de taille : Montcalm est mal renseigné sur le moral des troupes ennemies et celui de leur chef ; il ignore que Wolfe est gravement malade et que la grogne gagne ses troupes.
Découragé, Wolfe a déjà décidé de lever le siège au plus tard le 20 septembre. L'attaque de nuit par la plage du Foulon est une tentative désespérée pour sauver l'honneur.
Enfin, l'erreur la plus tragique de Montcalm, aura été de livrer bataille sur les Plaines, c'est-à-dire sur le terrain de Wolfe. Il n'a qu'à encercler l'ennemi et à attendre les renforts de Bougainville qui se tient en réserve, à Cap-Rouge, à la tête de 3000 soldats, la fine fleur de l'armée française.
Les 4800 hommes de Wolfe sont transis de peur sur les Plaines. Ils sont entourés de miliciens canadiens et de guerriers indiens qui, cachés dans les arbres et les hautes herbes, les canardent en poussant leurs cris de guerre qui glacent le sang des plus braves. Les soldats anglais n'ont qu'un désir : se sauver par où ils sont venus et rembarquer sur leurs bateaux.

Il est 9 h du matin. Montcalm vient d'arriver en vue des Plaines. Contre l'avis de Vaudreuil, il prend la décision insensée de livrer une belle bataille à l'européenne, avec drapeaux, tambours et tout le décorum. Il n'a pas les troupes pour ce faire. Il oblige les Canadiens à s'enligner comme des soldats de plomb et à s'exposer bêtement au tir de l'ennemi.

L'historien W. J. Eccles écrit dans le dictionnaire biographique du Canada: «Wolfe a placé son armée dans une situation extrêmement périlleuse. Il est virtuellement à la merci de Montcalm. Ce dernier choisit la seule ligne de conduite qui lui assure la défaite...» On connaît la suite.
Battu, humilié, Montcalm doit rentrer à l'abri des remparts de Québec à la suite de son armée en déroute. Il est 10 h. Passant au pas de son cheval fourbu sous la porte Saint-Louis, il est atteint par une balle perdue. Dans le dos. Il mourra la nuit suivante. Il sera enterré dans un cratère d'obus, sous la chapelle des Ursulines.

Quatre jours plus tôt, le général en chef des troupes françaises de la colonie avait déjà rédigé l'acte de reddition de Québec. Avant de mourir et sans en aviser le gouverneur Vaudreuil, ce même Montcalm a le temps d'envoyer une lettre de capitulation au général George Townsend qui a remplacé Wolfe blessé à mort.

La bataille de Wolfe
http://www.electricscotland.com/history/scotreg/mcculloch/wolfe.jpghttp://www.983ckrs.ca/blogue/myriam-segal/images/plaines_d_abraham1.jpg
Wolfe a 32 ans au moment des faits. Il est de santé fragile. Il souffre de rhumatisme chronique et de gravelle (douloureux calculs urinaires). Durant le mois qui précède la bataille finale, il a dû s'aliter, victime d'une sérieuse attaque de dysenterie. Cela peut expliquer son caractère exécrable.
Au physique, il est le contraire de son vis-à-vis. Montcalm est petit et rond comme une citrouille. Wolfe ressemble à une grande asperge. Les deux généraux ont en commun de «n'être guère mieux que des commandants de deuxième ordre», selon l'expression de l'historien Eccles. Ils sont tous deux méprisés par les officiers compétents placés sous leurs ordres.
Durant les trois mois que dure le siège de Québec, Wolfe ne cessera de changer de stratégie. Toutes les initiatives qu'il prend tournent à l'échec.

Les historiens s'accordent pour dire qu'il a été servi par la chance sur les plaines d'Abraham. Par la chance et par les erreurs monumentales commises par Montcalm. D'ailleurs, l'idée d'attaquer en débarquant en amont de la ville n'est pas de lui. Cette stratégie est le fait des officiers Townshend, Murray et Monckton.

Pendant cinq semaines, aucune bataille sérieuse n'a lieu. Les troupes anglaises sont déprimées. Les officiers critiquent l'indécision de leur chef. Alors, Wolfe décide un débarquement à la rivière Montmorency, le 31 juillet. C'est un échec cuisant. Les Anglais perdent 400 hommes dans l'affrontement. Plusieurs soldats désertent. La débandade de Montmorency aurait pu mettre fin au siège de Québec.

Wolfe en fait une maladie. Ce qui ne l'empêche pas d'envoyer des troupes régulières et des rangers américains ravager l'arrière-pays et la Côte-du-Sud. Cette expédition sauvage ne rapporte rien militairement parlant. C'est une tache noire sur le dossier de Wolfe et de toute l'armée anglaise.
George Scott commande un détachement de 1000 soldats et rangers. Il se vantera d'avoir tout rasé sur une distance de 52 milles, entre Beaumont et Kamouraska: «Nous avons brûlé 998 bons bâtiments, deux sloops, deux schooners, 10 chaloupes, plusieurs bateaux plats et petites embarcations, nous avons capturé 15 personnes...»

Ce que George Scott ne dit pas, c'est que ses rangers ont torturé des colons innocents pour leur faire dire où ils cachaient leur or et qu'ils ont violé leurs femmes et leurs filles. C'est l'un des épisodes les plus gratuitement cruels de la guerre de la Conquête.

Au début de septembre, tout indique que le siège de Québec se soldera par un échec retentissant. Alors, Wolfe s'en remet à ses trois premiers officiers. Il faut surprendre Montcalm en débarquant, de nuit, en amont de Québec, pour couper les troupes de Bougainville de celles qui défendent Québec.
La première idée est de débarquer à Sillery. À la dernière minute, les assaillants se rabattent sur la plage du Foulon.

Montcalm a laissé ce secteur sous la garde d'une centaine de soldats canadiens. Ils sont commandés par un certain Duchambon de Vergor. Les trois quarts des hommes ont obtenu la permission d'aller faire les foins sur leurs fermes. Les rares sentinelles sont maîtrisées. Vergor, lui, dort, probablement assommé d'alcool. Les soldats anglais empruntent le lit d'un ruisseau desséché dans la falaise. Avant le lever du jour, l'armée anglaise occupe les Plaines.
Wolfe vient d'enfermer son armée dans un piège qui pourrait être mortel. Montcalm sera incapable d'en profiter.

Une reddition honteuse
Le gouverneur Vaudreuil envisage la reddition de Québec, mais pas avant d'avoir épuisé toutes les autres possibilités.
Ramezay, le commandant de la ville, est poussé à l'abandon par une petite bourgeoisie locale défaitiste. Il réunit un conseil de guerre. Des voix s'élèvent pour demander la poursuite des combats, dont celle de l'officier Jacau de Fiedmont.

Ramezay demande au capitaine Joannès de hisser le drapeau blanc. L'officier refuse d'obéir.
Le 17 septembre, Vaudreuil retrouve son aplomb. Il ordonne à Ramezay de tenir bon. Le chevalier de Lévis vient d'arriver de Montréal. Il prend la tête des troupes françaises. Il regroupe son armée dans la vallée de la Jacques-Cartier. Il marche sur Québec avec les troupes d'élite de Bougainville.
Il est trop tard. Ramezay craque. Il passe outre aux ordres du gouverneur. Il signe la capitulation. Nous sommes le 18 septembre 1759.

En apprenant la nouvelle, Lévis, indigné, s'écrie: «Il est inouï que l'on rende une place sans qu'elle soit attaquée ni investie». Pauvre Nouvelle-France!

(Sources: le dictionnaire biographique du Canada ; Histoire populaire du Québec, de Jacques Lacoursière ; La guerre de la conquête, de Guy Frégault.)





Un nouvel article sur Herzog. Fitzcarraldo et Aguirre, la colère de dieu, vous devez voir ces 2 films… Ils vous attendent!!!




Article du jour 2 :  Werner Herzog l’arpenteur 

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Rencontre avec le plus baroque des cinéastes allemands, auteur du trip opératique Aguirre, la colère de Dieu, filmeur acharné aux quatre coins du monde, tandis que débute à Paris une rétrospective de son œuvre.


On croyait Werner Herzog échoué à jamais sur les rivages des années 80, victime de l’échec monumental de Fitzcarraldo (1982, avec Klaus Kinski, son acteur fétiche) et de sa réputation de cinéaste fou furieux. Pourtant, il n’a jamais cessé de tourner et de voyager. Lui qui a longtemps été abonné aux fictions décevantes et aux documentaires invisibles a été remis en selle par le succès de Grizzly Man. Les cinéphiles de tous bords sont désormais attentifs à ses nouveaux films, qui ne trouvent pas toujours le chemin des salles françaises (les excellents The Wild Blue Yonder, Rescue Dawn, Encounters at the End of the World), et ressortent des oubliettes les films emblématiques des années 70 comme Les nains aussi ont commencé petits, L’Enigme de Kaspar Hauser, La Ballade de Bruno… On constate aujourd’hui que ses nombreux documentaires sont aussi importants (voire plus) que la série des “Kinski-films” qui lui apporta la gloire. Il est temps de reconsidérer la puissance poétique et visionnaire de ses images. Son œuvre passée, présente et future n’a pas fini de nous surprendre et de nous émerveiller. Bref, un cinéaste renaît.
ENTRETIEN > Conquête de l’inutile (Eroberung des Nutzlosen), rédigé durant le tournage interminable et mouvementé de Fitzcarraldo (1981-1982), vient d’être traduit en français. Comment avez-vous trouvé la force d’écrire ce livre alors que vous étiez en pleine jungle péruvienne en train de vivre une situation désastreuse ?
Werner Herzog – Le livre emprunte la forme d’un journal de bord et il a été écrit au jour le jour, mais finalement il s’agit d’une œuvre littéraire en prose. Je ne peux en effet pas dire que c’est un roman, mais plutôt un rêve fiévreux dans la jungle. Soumis à une pression énorme, mes derniers refuges furent l’écriture et le langage.
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Cela vous a aidé à survivre au chaos ?
Nous ne sommes jamais réellement parvenus au chaos, mais nous avons vécu des situations très difficiles, comme deux accidents d’avion, devant lesquelles il a fallu réagir. J’ai appris à toujours affronter les situations les plus compliquées grâce à la littérature, et aussi grâce à l’histoire. J’ai toujours La Seconde Guerre punique de Tite-Live sur moi, ainsi que la Bible dans la traduction originale de Luther, que je lis régulièrement pour me consoler. La Seconde Guerre punique me console car elle réunit dans une seule campagne militaire mes deux grands héros historiques, Hannibal et son ennemi romain Fabius Maximus. J’admire Hannibal car il a accompli un exploit sans précédent, conduire une armée entière avec des éléphants de Carthage jusqu’en Espagne en lui faisant traverser les Alpes. Mais le plus grand des héros, qui n’est pas passé à la postérité, fut son adversaire, Fabius Maximus, qui hérita du surnom “Cunctator”, qui signifie “l’hésitant”, ou “le lâche”, car après les défaites catastrophiques subies par l’armée romaine, il comprit que le seul moyen de vaincre Hannibal était de temporiser. Il accepta la honte d’être celui qui préfère reculer plutôt que d’attaquer frontalement l’ennemi, pour finalement défaire la flotte carthaginoise commandée par le frère d’Hannibal, Hasdrubal, près de la Sicile. Il a ainsi adopté une tactique extrêmement clairvoyante, et il s’est moqué de ce que l’histoire retiendrait de lui. Il a sauvé l’Occident de la menace de Carthage, alors que Rome était au bord du cataclysme. Sans lui, l’Europe ne serait pas ce qu’elle est.
"j’essaie de trouver une vérité profonde, une extase de vérité, et non une vérité d’arrangement"Vous êtes, comme lui, un artiste qui se moque de l’opinion commune, qui suit ses visions sans se soucier de la critique…
Oui. J’aime Hannibal pour son courage et ses choix inattendus, et j’aime Fabius Maximus pour la profondeur de ses visions et son aptitude à absorber tout ce qui peut l’humilier et le ridiculiser.



Vos documentaires récents vous ont-ils permis de vous libérer de la pesanteur de la fiction, en réduisant les coûts mais aussi tout ce qui pouvait établir une distance entre le cinéaste et ce qu’il désire filmer ?
La plupart de mes documentaires sont extrêmement stylisés, très influencés par des formes musicales, comme The White Diamond (2004) par exemple, pour lequel j’ai d’abord enregistré et monté la musique, avant que les images surgissent. Avec le souci de provoquer un éblouissement chez les spectateurs, j’essaie de trouver une vérité profonde, une extase de vérité, et non une vérité d’arrangement. Donc, pour toutes ces raisons, je ne me contente pas d’enregistrer une situation dans mes documentaires, je la mets en scène. Il n’est pas facile d’établir une distinction claire entre la fiction et le documentaire dans mon travail. J’ai moi-même des difficultés à proposer des définitions, ce sont tout simplement des films.
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Aguirre, la colère de dieu (1972), Cœur de verre (1976) ou Fitzcarraldo sont d’abord des aventures de tournage. Tout ce qui est sur l’écran semble avoir été vécu et senti sans le moindre trucage.
La réalité n’est pas le véritable épicentre des choses. La vérité ? C’est un concept que j’envisage avec beaucoup de prudence. Je suis du côté de l’illumination. Vous la ressentez en lisant Rimbaud, en écoutant de la grande musique ou en regardant Rashomon de Kurosawa.



Le réalisme magique ?
Je n’ai rien à voir avec ça. Je ne me suis jamais senti proche de la littérature latino-américaine, le réalisme magique n’a engendré que des formes artistiques bâtardes en dehors de son contexte.


Et la culture germanique ?
Les Français connaissent le romantisme allemand, et aussi l’expressionnisme, c’est à peu près tout. J’ai beaucoup plus d’affinités avec le baroque, des poètes comme Andreas Gryphius ou Quirin Kuhlman, un poète assez méconnu mais totalement extatique, dont l’œuvre va au-delà des possibilités offertes par la langue allemande. Je me sens très proche de Kleist, d’Hölderlin, de Büchner, qui ne sont pas des romantiques, mais qui ont écrit à l’époque de l’apogée de la littérature romantique.
Au-delà de son rapport étroit avec l’histoire de l’art, votre filmographie est avant tout habitée par la planète et ses habitants. Vous êtes un grand voyageur.
J’ai travaillé avec des hommes et des femmes du monde entier, je ne me suis pas contenté de leur rendre visite. Cela m’a permis d’établir avec eux une relation intense et profonde.
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La moitié de Grizzly Man (2005), votre film récent le plus connu, est constituée d’images d’archives filmées par l’écologiste excentrique Timothy Treadwell, notamment des images impressionnantes de grizzlis. Etait-il un bon cinéaste ?
Non. C’était un type exceptionnel, mais je dois ajouter que son comportement était extrêmement imprudent. Contrairement à lui, je suis une personne extrêmement professionnelle et c’est la raison pour laquelle jamais personne n’a jamais été blessé durant un de mes tournages, et j’ai fait cinquante films. Tandis que Treadwell et sa copine ont, hélas, été tués et dévorés par des grizzlis. Nous étions très différents, mais il était intéressant que nous nous confrontions à l’intérieur du film sur le terrain commun de la mise en scène.
"j’ai toujours recherché de nouveaux horizons, et cette quête s’est matérialisée dans mes films"
Pouvez-vous nous parler de votre prochain film, une nouvelle version de Bad Lieutenant d’Abel Ferrara ?
Je dois préciser que ce n’est en aucune façon un “remake”. Il s’agit d’une histoire originale et d’un film totalement autonome, comme les différentes aventures de James Bond. Le titre a été amené par le producteur Edward Pressman, qui avait produit le premier Bad Lieutenant, que je n’ai toujours pas vu. Ma version a d’ailleurs un second titre – Bad Lieutenant: Port of Call New Orleans, afin de bien différencier les deux films.
Quoi qu’il en soit, il est surprenant est de vous voir aux commandes d’un film policier avec Nicolas Cage et Eva Mendes…
Tous mes films récents sont très différents de ceux que j’ai réalisés il y a trente ans. Je ne pense pas avoir fait du surplace pendant tout ce temps. La rétrospective de mes films au Centre Pompidou va permettre aux gens de voir que j’ai beaucoup bougé. Je n’ai pas beaucoup changé, mais j’ai toujours recherché de nouveaux horizons, et cette quête s’est matérialisée dans mes films.



De nouvelles aventures ?
Je n’aime pas parler d’aventure, car pour moi l’aventure appartient à un âge révolu, quand les hommes se battaient en duel, ce qui n’est plus acceptable de nos jours. J’admire Buñuel, car il n’est pas resté bloqué dans le surréalisme de ses premiers films. Vous pouvez apprécier son évolution, des films mexicains des années 50 comme Los Olvidados jusqu’à sa dernière période française. La plupart de ses films sont très différents les uns des autres, et pourtant il suffit de soixante secondes pour reconnaître la mise en scène de Buñuel.
La rétrospective sera l’occasion de découvrir vos nombreux films inédits, dont le dernier, Encounters at the End of the World, un documentaire poétique sur la vie dans une base scientifique en Antarctique.
Le film a eu beaucoup de succès cet été aux Etats-Unis, il comporte de nombreux éléments comiques ; les spectateurs rient aux mésaventures des pingouins, c’est très différent de La Marche de l’empereur !
Propos recueillis par Olivier Père

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