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Arthur Koestler et Pink Floyd

Citations 

La souffrance a ses limites, pas la peur.
                         Arthur Koestler
 
La société et la science ont tellement baigné dans les idées du mécanisme, de l'utilitarisme et de la
 libre concurrence économique, que la sélection a remplacé Dieu comme ultime réalité.

                            Arthur Koestler


 Adam et Eve étaient soviétiques : ils étaient nus, le fruit qu'ils mangeaient était défendu et, néanmoins,
 ils s'imaginaient être au Paradis.

                         Arthur Koestler  


Il est facile de croire, facile de ne pas croire. Ce qui est dur c'est de ne pas croire à son incroyance.
                            Arthur Koestler     

On parle souvent de Camus comme un modèle par rapport à ses prises de position… L’histoire nous a appris qu’il a fait les choix justes. On l’oppose souvent au tandem de Simone de Beauvoir et de Jean Paul Sartre qui se sont trop souvent trompés!

 En cette matière quand je regarde pour un personnage que je pourrais citer en exemple, un nom me vient à l’esprit : Arthur Koestler...  J’ai lu deux romans de ce dernier. Le premier dénonçait le stalinisme et le second s’en prenait à la dictature de Franco. Je n’en dis pas plus, prenez le temps de lire le prochain article, vous aimerez sans doute !

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Arthur Koestler

Les Echos, no. 19359

Culture, vendredi, 25 février 2005, p. 3

Littérature

Koestler, le croisé sans croix

EMMANUEL HECHT
Portrait de l'homme qui tint tête à Sartre et aux communistes.
2005 est « l'année Sartre », né en 1905. C'est aussi celle de toute une génération de normaliens : Aron, Nizan, Merleau-Ponty. C'est encore celle d'Arthur Koestler, mais le pauvre « A.K »., comme l'appelait l'une de ses épouses, n'intéresse plus grand-monde. Koestler, c'est l'« anti-Sartre », et la France préfère les « maîtres-penseurs ». Voilà au moins une bonne raison pour lire ou relire deux de ses oeuvres, les meilleures sans doute : « La Corde raide » et « Hiéroglyphes » (coll. Bouquins). Ces livres parus en France en 1953 et 1955 sont passés inaperçus et leur réédition, en 1978, dans la collection « Pluriel » (Hachette), a connu un destin similaire. Pourtant, cette traversée autobiographique du XXe siècle pleine d'humour est le meilleur antidote aux idéologies mortifères passées, présentes et futures. C'est aussi un manuel d'intelligence politique.
En 1946, Koestler est à Paris (il a acheté une maison en bord de Marne). Il fréquente les milieux intellectuels parisiens dans les cafés à la mode de Saint-Germain-des-Près. Il est une vedette, malgré lui. Il vient de publier le « Zéro et l'Infini », l'histoire d'un vieux bolchévique qui « avoue » ses crimes dans un procès stalinien. Le parti de Maurice Thorez ne goûte pas la plaisanterie, d'autant qu'elle vient d'un renégat à la (Victor) Serge ou (Boris) Souvarine. Car Koestler a été - peu de temps, certes - un agent du Komintern. La place de Chateaudun (l'ancien siège du parti communiste) sort l'artillerie avec les canonniers Joliot-Curie, Garaudy et Kanapa. Koestler est accusé d'être « l'agent de l'Intelligence Service » et, lui, le juif de Budapest parlant à l'âge de dix ans hongrois, allemand, français et anglais, sa langue d'écrivain - d'« antisémite pogromiste » ou, variante, de « hongrois de souche allemande ». L'éditeur, Robert Calmann (de Calmann-Lévy) tient bon. Le livre est un best-seller : 200.000 exemplaires. Mais la gauche non-communiste se méfie de cet empêcheur de penser en rond, toujours aux abois.
Quand le duo Sartre-Beauvoir déclare : « Mieux vaut une dictature communiste qu'une dictature gaulliste », il sort son stylo : « Et quand nous autres, les anges déchus, nous hurlons parce qu'on broie les os de nos camarades d'hier dans ce paradis transformé en chambre de torture, obscure et immense, eux, les demi-vierges, nous regardent avec leur petit sourire myope et nous expliquent que nous exagérons. Ah ! les petits masochistes de l'âge de raison, comme ils attendent avec impatience qu'on les viole ! » Quand il ne sort pas son stylo, il administre un uppercut, comme à Camus, qui n'est pourtant pas le plus enragé de tous. Mais les soirées sont vives et arrosées après la Libération.
Pessimisme accablant
Koestler n'est pas un mauvais bougre. La journaliste Danièle Hunnebelle, qui l'a croisé dans le Paris des années 50, le juge « attachant », « fraternel », bien que « torturé ». Il est « un peu énigmatique et mystérieux sur les bords, assez imprévisible pour n'être jamais ennuyeux, émotif, sensible aux signes, pas livresque pour un sou, actif, plein d'imagination ». Sur les photographies, il arbore un sourire mélancolique, les cheveux soigneusement peignés et séparés par une raie. Il a l'air d'un professeur d'Oxford. L'une de ses compagnes, Mamaine Paget, évoque « le cynisme et le pessimisme accablants » de Koestler, mais elle ajoute : « Il a plus de courage moral que n'importe qui d'autre que j'ai rencontré. »
Tout cela ne l'empêche pas d'être un convive recherché. Il aime, dans le désordre, le vin, la bonne chère, les femmes. Le défaut de sa cuirasse, c'est son hédonisme, dira George Orwell, un écrivain de la même trempe. Koestler, observe Phil Casoar dans une remarquable introduction aux « OEuvres autobiographiques », est « à l'image des titres de ses livres, véritable antithèse ambulante. A la fois «croisé sans croix», «yogi et commissaire», pessimiste et hédoniste, timide et exubérant, égoïste et donquichottesque, agnostique et spiritualiste, épris de rigueur et emporté par ses passions... Et bien sûr «maniaco-dépressif». » Mais pourquoi, se demande-il, Koestler végète-t-il en France « dans un purgatoire littéraire » ? Première explication : Koestler est connu pour un seul titre - « Le Zéro et l'Infini », comme Orwell est connu pour « 1984 ». Un peu court. D'autant que c'est un romancier moyen, ce qu'il admettait volontiers.
Koestler a surtout accumulé les bourdes : par exemple, s'intéresser à la science, un domaine pour lequel l'intelligentsia française n'a que mépris. Mais sa faute la plus impardonnable est de s'être opposé frontalement à la gauche intellectuelle. Simone de Beauvoir, jeune fille rangée aux relents xénophobes, ne lui pardonne pas. « Ce visage triangulaire aux pommettes saillantes, aux yeux vifs et durs, à la bouche mince et presque féminine, ce n'était pas un visage français ; l'URSS était pour lui un pays ennemi, il n'aimait pas l'Amérique : pas un endroit sur terre où il se sentît chez lui », écrit-elle de lui dans « Les Mandarins », sous les traits de Scriassine.
Koestler reproche à ses amis parisiens la légèreté et la vanité de leurs positions politiques, leur complaisance à l'égard du régime soviétique. L'opposition n'est pas entre gauche et droite, tente-t-il de les convaincre, mais entre « tyrannie totale » et « liberté relative ». Le message ne passe pas. Le monde est coupé en deux, les cerveaux aussi. Koestler : « n'avait jamais peur d'aller au-devant de l'expérience », écrit Anthony Burgess. « Ses ouvrages n'étaient pas des songes de bibliothèque, ils étaient forgés à partir du monde implacable et déchiré où il vivait. » Voilà le véritable péché d'Arthur Koestler, qui écrivait : « Si Sartre avait été engagé dans la politique avant d'écrire «L'Etre et le Néant», son livre aurait été plus valable. Il faut avoir vécu et souffert dans son être les contradictions d'un système philosophique si l'on veut être autre chose qu'un philosophe universitaire, enfermé dans sa tour d'ivoire. »
Une jeunesse viennoise
Il est là le secret de la lucidité de Koestler : dans sa vie, son destin devrait-on dire. Impossible d'en faire l'économie, pour comprendre l'homme. Le jeune Arthur naît à Budapest dans une famille de juifs laïcs hongrois, le 5 septembre 1905. Ce jour-là, le roi Edouard VII donne au Casino de Marienbad un dîner à 29 convives et la première révolution russe éclate. Le père d'Arthur, d'après une étude graphologique, a l'imagination débordante de certains aliénés. Il invente un savon radioactif à base d'argile, mais il échoue dans son grand projet : vendre toute la récolte de paprika hongrois à l'Angleterre. Sa mère, une Viennoise, souffrira toute sa vie de migraines. Le bon Dr Freud - elle disait « Freund » - tente bien de la soigner, mais son irritabilité croît avec la chute des Hasbourg.
Koestler passe son adolescence à Vienne, après l'échec de la « Commune hongroise », la brève dictature de Bela Kun. Il est devenu « communiste romantique » (tendance Chopin) une de ces journées de 1919, en assistant au défilé funéraire de militants au son de la « Marche » du musicien polonais. Il fait des études d'ingénieur à l'Ecole polytechnique. Il est membre d'une « Burschenschaft », une de ces associations d'étudiants duellistes en quête d'une balafre, si possible au coin de l'oeil. L'école compte trois burschenschaften,: pangermaniste, libérale et sioniste, la sienne.
Pourtant, Koestler est d'abord un produit de l'Empire habsbourgeois, nourri de littérature, éloigné de la tradition juive, ce qui ne l'empêchera pas d'être quelques semaines le secrétaire de Vladimir Jabotinsky, l'un des fondateurs du mouvement sioniste. A l'issue d'une discussion avec un étudiant russe sorti des « Possédés » (qui se jettera l'année suivante dans le Danube), il brûle ses papiers d'étudiant. Il part pour la Palestine, le 1er avril 1926 (« Peut-être l'idée d'un « Foyer national » me séduisait-elle avec d'autant plus de force que j'habitais depuis mon enfance des hôtels et des pensions de famille ».)
Il est engagé dans un kibboutz. On le charge de transformer une pente aride en potager (« Je fis de mon mieux pour cacher mon aversion pour la bêche »). Il vend de la limonade à Haïfa, se lie avec l'unique psychanalyste de Tel-Aviv, il crève la faim, et devient journaliste à Jérusalem. Il crée les premiers mots croisés pour un journal en hébreu, puis devient correspondant d'une agence de presse allemande pour le Moyen-Orient. A vingt-deux ans, il accède à la célébrité en interviewant le roi Fayçal d'Irak, l'un des héros des « Sept piliers de la sagesse » du colonel Lawrence. Mais Koestler s'ennuie ferme en Palestine.
Il est nommé correspondant à Paris (« J'appris la devise des Français : il faut se défendre »), puis à Berlin - « le jour des élections fatales du Reichstag, le 14 septembre 1930 » - comme journaliste scientifique (il est le seul journaliste à bord du Graf Zeppelin lors de son expédition polaire). En 1931, il adhère secrètement au parti communiste, et devient un agent du Komintern. Il voyage en URSS. Il faut lire le chapitre : « Portrait de l'auteur en camarade ». A l'automne 33, à l'arrivée de Hitler au pouvoir, il s'installe à Paris. Sans le sou. Pour survivre, il rédige en moins de deux mois une « Encyclopédie de la vie sexuelle », sous le pseudonyme de Dr. A. Costler. Le patron de la propagande du Komintern, Willy Münzenberg, lui demande d'écrire une brochure sur un home d'enfants de réfugiés allemands ouverts par le parti dans une villa de Maisons-Laffite. Il en tire son premier roman : « Les aventures d'exil du camarade Cui-Cui et de ses amis ».
Les premiers ennuis avec le Parti communiste, qui lui reproche sa « psychologie individualiste bourgeoise », commencent. En 1936, il couvre la guerre d'Espagne. L'année suivante, il est prisonnier de Franco, à Malaga. Il a le temps de méditer la phrase de Malraux : « La vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie. » Il risque le poteau d'exécution, il est finalement échangé contre la femme d'un pilote franquiste. Son incarcération dans les geôles franquistes gêna toujours aux entournures ses adversaires de gauche. En 1938, il démissionne du PC, après l'exécution de Boukharine. En 1940, il est interné dans un camp des Pyrénées pour « étrangers suspects » ; il s'engage dans la Légion étrangère (sous le nom d'Albert Dubert, chauffeur de taxi de Berne), gagne Londres via Marseille, Casablanca, Lisbonne. Il est conducteur d'ambulance, il écrit des scénarios de films de propagande, des tracts et des livres : « La Lie de la terre », « Croisade sans Croix », « Le Yogi et le Commissaire ».
Après-guerre, il s'installe à Paris. Il couvre la naissance de l'Etat hébreu (1948) ; il craint que le jeune Etat ne devienne « spartiate » et sous la coupe de rabbins. Puis il tente de s'installer aux Etats-Unis - notamment sur une île de la rivière Delaware -, mais il trouve le temps long. Il opte pour l'Angleterre, ce pays « méfiant de n'importe quelle cause, méprisant les systèmes, bâillant devant les idéologies, incrédule aux utopies ».
Une curieuse introspection
Les années 50 marquent un tournant dans la vie de Koestler. Il s'installe à Londres et se lance dans des essais à vocation scientifique. Le premier livre du genre, « Les Somnambules » (1958), est consacré à l'évolution des conceptions de l'univers, de Babylone à la Renaissance, avec Kepler pour figure centrale. Il partage sa vie entre sa maison de Montpellier Square et son chalet tyrolien d'Alpbach.
Arthur Koestler a raconté tout cela dans « La Corde raide » et « Hiéroglyphes ». Il s'y révèle un observateur implacable du monde, distancié et drôle : « Un nouveau type d'écrivain semble remplacer l'homme de lettres humaniste de la classe moyenne : c'est l'aviateur, le révolutionnaire, l'aventurier, ce sont les hommes qui mènent une vie dangereuse et qui ont une nouvelle technique d'observation, une curieuse introspection de plein air et une tendance encore plus curieuse à la contemplation, même au mysticisme, qui naît en plein centre de l'ouragan. » Ce portrait d'un jeune pilote-écrivain de la RAF pourrait être l'autoportrait de Koestler.
Sa force n'est pas de ne jamais s'être trompé - il a été agent du Komintern - mais d'avoir su dire : « stop » et de chercher à expliquer inlassablement. « Je suis allé au communisme comme on va à une source d'eau fraîche et je l'ai quitté comme on s'extirpe d'une rivière empoisonnée, jonchée de débris de villes mortes et de cadavres de noyés. » Encore lui fallait-il comprendre pourquoi les idéologies les plus mortifères pouvaient attirer autant de candidats.
« Casanova des causes »
Dans son cas, il parle de « névrose politique », produit de la projection de problèmes effectifs personnels, l'amour incertain d'une mère et la rigidité d'une éducation engendrant un fort sentiment de culpabilité. « Le désir d'embrasser la cause la plus parfaite fit de moi un Casanova des causes. » Koestler s'en est toujours sorti en rompant les amarres, les amitiés, à chaque fois que sa survie en dépendait. Si une maxime a pu régir sa vie, c'est celle de Dylan Thomas : « Quand on brûle les vaisseaux, quel beau feu cela fait ! »
Koestler ne se satisfait pas de ce désengagement. « Pour comprendre la politique, écrit-il, il ne faut pas se contenter de connaître l'Histoire, il faut aussi étudier la psychologie. » Il se lance dans la psychologie, puis la biologie. Il tente d'élaborer une psychologie des génies à l'origine des grandes mutations de l'histoire de la pensée. Le secret des génies : un mélange de scepticisme intégral et d'ouverture d'esprit frisant la crédulité. Il s'intéresse à la créativité. La découverte scientifique, explique-t-il dans « Le Cri d'Archimède », est le produit d'un vagabondage de la pensée. Il s'interroge sur le libre-arbitre, la violence, la déraison. Il est séduit par les travaux d'un neurophysiologue, Paul D. MacLean, pour qui l'homme est doté de trois cerveaux : un cerveau reptilien, un autre, hérité des grands mammifères, un troisième, propre à l'homme.
Koestler pense avoir découvert la pierre philosophale : l'homme est tiraillé entre ses pulsions les plus archaïques et les développements intellectuels les plus sophistiqués. L'homme serait un échec de l'évolution, avec un organe - le néocortex - dont il ne sait pas se servir. Les scientifiques sont dubitatifs. Koestler n'en perd pas pour autant son sens de l'humour. Au fond, explique-t-il, un psychanalyste demande à son patient de partager le divan avec un cheval et un crocodile. Koestler n'arrivera jamais à la vérité, l'objet de tous ses ressentiments. « La nature, constate-t-il un peu las, nous laisse à nos propres forces, Dieu a décroché le téléphone et le temps presse. »
Le 1er mars 1983, épuisé par un Parkinson et une leucémie, il se donne la mort, avec sa jeune femme Cynthia, à Londres.
EMMANUEL HECHT
Patricia Highsmith & Arthur Koestler
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 Vous tous je l’espère, vous connaissez l’album Dark Side of the Moon. J’ai passé un an à écouter ce disque, un chef d’œuvre qui transcende le temps. C’est un miracle en regard  des moyens technique qu’ils avaient à l’époque. On doit beaucoup à la collaboration de l’ingénieur de son, Alan Parson, sur ce long jeu. Dans les lignes suivantes, vous trouverez la petite histoire de cet album mythique de  Pink Floyd, un groupe qui se passe de présentation!  
http://cinemassacre.com/NEWS/images/dark-side-of-the-moon-pink-floyd-poster.jpg

1972 : Pink Floyd est un groupe respecté, novateur et toujours prêt à l’expérimentation. Non pas que le groupe touche le grand public, mais ils se sont faits une petite place au chaud dans les sphères progressives de la musique du même type. Mieux, on qualifie leur musique de space rock, musique des esprits qui partent en orbite. Sauf que Roger Waters, bassiste de son état, en a marre. Du space rock, eux ? Parce que les auditeurs ont trouvé trois pauvres références aux voyages spatiaux ? Trop réducteur. Non, Roger est remonté, fini les pièces qui durent une demie heure, fini les concepts nébuleux, il a un message à faire passer, il a une ligne directrice, il va écrire l’un des albums les plus marquants du rock.
Mais il ne le sait pas encore, faudrait voir à ne pas sauter les étapes ! Avant cela, Pink Floyd a un but à atteindre : « devenir riches et célèbres » dixit Waters lui-même [1]. Et pour ce faire, ils vont sortir la grosse artillerie et mettre au point un show appelé Eclipse (A Piece For Assorted Lunatics). Car la genèse de ce qui va devenir Dark Side Of The Moon s’est faite sur scène durant des mois de rodage où le groupe teste et adopte certains morceaux. Roger Waters s’est chargé des textes, David Gilmour, guitariste, et Rick Wright, claviériste, se chargent de la musique. Une formule magique pour le groupe : libéré des contraintes musicales, Waters va s’épanouir dans le rôle de parolier, et, osons l’emphase, dans le rôle de créateur de concept. Un concept si fort, si imparable que les neufs morceaux qui vont résulter de ce travail vont marquer les esprits jusqu’à nos jours.
Quel beau concept que la folie et tout ce qui la déclenche, souvenirs de leur flamboyant leader Syd Barrett, dont la raison s’est égarée dans la stratosphère, sentiments de Waters poussés jusqu’au bout : cet album est à la fois si personnel et si universel que ça en devient troublant. Roger Waters avait commencé à trouver sa voie sur le morceau Echoes, où déjà, il mettait en musique une certaine empathie. Dark Side Of The Moon est, pour l’intéressé, « l’expression d’une empathie politique, philosophique, humanitaire qui devait se manifester ». Tout un programme. Le groupe réuni dresse une liste de tout ce qui peut aliéner et voilà que les thèmes principaux abordés au long d’une existence ressortent clairement : la vie, la mort, le temps, l’argent et tant d’autres choses qui chaque jour créent quelque part sur Terre le dérèglement psychique d’un inconnu.
À côté de cela, Pink Floyd veut, en toute simplicité, repousser ses limites, rester dans l’expérimentation tout en étant mélodique. Et l’expérimentation, ils vont pouvoir la pratiquer grâce aux progrès techniques de cette époque : l’arrivée d’une console 24 pistes et du son quadriphonique dans les studios Abbey Road vont leur permettre de faire joujou et de créer la musique du futur. À cela vient s’ajouter un synthétiseur VCS3, qu’ils utilisent pour la première fois, et qui leur ouvre la porte de la musique électronique. Ils ont beau dire et se défendre que les machines ne font pas tout, ils ne peuvent pas renier qu’ils n’auraient rien fait sans elles. En tout cas, rien d’aussi spectaculaire pour l’époque. Quoiqu’il en soit, les morceaux plus ou moins finis, et après quelques répétitions dans un studio appartenant aux Rolling Stones, le groupe part sur scène et fait découvrir au public un album qui n’est même pas sorti. C’est audacieux et malin, car selon les réactions des spectateurs, on garde, on améliore ou on jette et on pond l’album qui plaira à tout le monde. Si à cela vient s’ajouter un light show hallucinant, les critiques qui ne sont foncièrement pas mauvaises et le disque se retrouve alors très attendu.
L’autre problème qui embête un peu le groupe est que leur conquête de l’ouest ne se passe pas trop bien, la faute de la maison de disque américaine. Ils dénichent un type suffisamment talentueux et motivé qui va assurer une promotion de l’album comme ils n’en ont jamais eu et rassurés de la tournure que prennent les choses, ils rentrent aux studios Abbey Road pour six semaines d’enregistrement, dont certaines sessions ont été immortalisées sur la vidéo du Live at Pompeii, réalisé par Adrian Maben. Ambiance détendue et joyeuse, nos quatre héros du jour mangent des huîtres françaises et des tartes sans croûte. Quand on connaît la suite de l’histoire, on peut réellement dire que pour la dernière fois de leur vie, les Floyd sont des amis et pas simplement des collègues de travail qui se chamaillent pour des problèmes d’ego. Et de cette bonne ambiance va sortir un petit joyau de perfection sonore, audacieux et incroyablement intemporel.
Tout s’ouvre sur un battement de cœur, doucement... La vie comme ligne directrice, une vie soudainement troublée par des cris, des tic-tac et autres bruits de tiroir-caisse. Et tout bascule, on attaque avec Breathe et la guitare de Gilmour, douce, aérienne : on est là pour se détendre, se laisser porter. Premier constat : c’est beau. Second constat : une telle alchimie musique / paroles tient du miracle, comme si portés les uns par les autres, les membres du groupe ne formaient plus qu’une seule entité vibrante et vivante. Troisième constat : ce qui se dégage immédiatement, c’est que tout est là : le son, les textes mais aussi l’imagination. Pink Floyd, et même si cela sonne très cliché, fait une musique pour l’esprit et chacun peut accommoder son écoute d’images et de sensations personnelles. Pour autant, le groupe ne laisse pas l’auditeur s’endormir, il est suffisamment détendu, et pour le remettre d’aplomb, quoi de mieux que On The Run, véritable folie électronique (merci le VCS3) à glacer le sang, entre les rires de psychopathe, des bruits de pas et des avions qui semblent vous descendre dessus en piqué, ce morceau impressionne et peut même faire peur. Enfin, ce n’est qu’un avis et une expérience personnels... Tout s’achève dans un crash et on se remet de ses émotions durant un court instant. Car presque aussitôt, on frôle la crise cardiaque avec les réveils, cloches et horloges de Time qui sonnent toutes en même temps. Constat accablant, le temps joue contre nous et ce coup de semonce nous rappelle qu’il est là, implacable et qu’il nous mène dans une seule direction. D’abord rock avec David qui pousse sa voix, on passe à la douceur de Rick, soutenu, pour la première fois, par des choristes qui amènent subitement une touche soul au morceau. Puis ça repart avec un solo de guitare dont Gilmour a le secret. Pas trop de notes, juste ce qu’il faut où il faut. Dark Side est un album qui ne fait pas que décrire la vie, c’est un album qui vit, qui possède des temps de calme, pour mieux respirer : Breathe in the air, don’t be afraid to care.
Du calme, il en arrive un peu avec le début de The Great Gig in The Sky, composée par Rick Wright. Originellement appelée Mortality Sequence, elle traite, comme vous l’aurez compris, de la mort. Et tandis que les premières notes de piano s’élèvent, une voix d’homme se fait entendre. Une de ces voix qui viennent hanter l’album, comme des apparitions d’êtres qui auraient un message à délivrer. Ici : pourquoi avoir peur de la mort ? L’intervention de ces voix est une idée d’Alan Parsons, leur ingénieur du son. Lui qui avait travaillé avec George Martin lors des sessions d’Abbey Road des Beatles, il avait alors découvert le monde merveilleux des collages sonores. Musicien dans l’âme et plein de bonnes idées, il propose au Floyd nombreuses d’entre elles. Et en plus, ça le fait ! Pour la réalisation, Roger propose un système de questions sur des cartes. Il décide d’interviewer tous ceux qui lui tombent sous la main, connus ou pas connus. La première question met en confiance : « Quelle est ta couleur préférée ? ». Celle d’après attaque frontalement : « As-tu peur de mourir ? » et ainsi de suite, chaque questionné ayant droit à une séance de psychanalyse gratuite. De quoi mettre de l’ambiance. Chose plus amusante, la majorité des témoignages retenus sont ceux d’illustres inconnus, aujourd’hui rentrés dans la légende floydienne, tel le portier écossais d’Abbey Road ou un roadie du groupe. Gilmour ajoute à ce sujet que ce sont ceux que l’on voit le moins qui disent les choses les plus intéressantes, n’en déplaise à Paul et Linda McCartney qui n’ont apparemment pas brillé dans leurs réponses.
À côté de ces considérations techniques, le morceau n’était à l’origine qu’un simple instrumental, sur lequel on entendait des passages de la Bible lus par un prédicateur. Alan Parsons a encore une bonne idée quand il parle de Clare Torry au groupe. Quand la jeune femme arrive en studios, on lui donne une seule indication : penser à la mort et à l’horreur et advienne que pourra. Ce qui advient est tout bonnement fabuleux : selon la légende la chanteuse n’a fait qu’une seule prise, la bonne prise. Criant, implorant, pleurant, elle donne toute son âme. La chanson prend une dimension dramatique stupéfiante, ce grand concert céleste qui laisse pantelant, qui appelle les émotions les plus fortes est l’un des moments forts de ce disque. L’une des dernières contributions fulgurantes de Rick Wright, avant qu’il ne s’efface définitivement. Mais ce n’est que la moitié du disque et la suite est pleine de bonnes surprises.
De surprise, Money en est une. D’abord pour le groupe qui l’utilisera comme single, le premier qu’ils ressortent depuis 1968. Un tel succès qu’aujourd’hui encore elle reste la plus connue du groupe avec Another Brick In The Wall Part 2. Succès commercial amusant pour une chanson qui parle de l’argent et de la cupidité qu’il entraîne. Le monde du rock n’est plus à une contradiction prêt... La surprise pour l’auditeur vient de ce riff de basse si caractéristique, de ce bruit de pièces et de tiroirs-caisses, bricolés à la main par Roger Waters dans sa maison de campagne. Encore et toujours utilisé quand on parle de fric à la télé. Money est le morceau qui tranche dans le vif, celui dont on n’attend pas la présence après ce que l’on vient d’entendre. Musicalement, un morceau compliqué puisque que l’on passe d’un rythme en 7/8 particulier à un rythme en 4/4, simple, efficace mais tellement rock’n’roll et bougeant grâce au saxo de Dick Parry, un ami de Cambridge. Tandis que David Gilmour s’amuse bien, l’atmosphère redevient floydienne. L’orgue de Rick Wright monte doucement, les voix toujours plus fantomatiques se font entendre et d’un coup, on se retrouve dans du coton. Us And Them est comme en suspension dans l’air. Mélancolique et mélodique, ce n’est en fait qu’une chute de studio, un morceau refusé par Antonioni pour son film de 1969, Zabriskie Point, parce qu’elle lui donnait l’impression d’être dans une église. En déterrant le morceau d’on ne sait où, Rick Wright réalise qu’il y a quelque chose à en tirer. Avis partagé par Roger Waters qui considère ce morceau comme l’un des meilleurs du timide claviériste. Les voix de Gilmour et Wright sont absolument superbes, se ressemblant, se mélangeant, soutenus encore par les choristes. Le tout est d’une grande intensité, on pourrait parler ici d’une progression dramatique, car cette musique est tout sauf légère, elle ne parle plus seulement au cerveau, elle vient toucher le cœur. Définitivement, Pink Floyd fait fort et réussi en 7’48" à concentrer tout ce que le groupe à fait de mieux depuis ces cinq dernières années.
Et pour se souvenir des moments un peu plus fous (mais pas trop) de ces beaux jours de formation, l’instrumental Any Colour You Like vient un peu secouer. Une fois encore, force est de constater que si Waters est à partir de ce moment devenu l’âme conceptuelle du groupe, Gilmour et Wright en sont l’âme musicale et ce, depuis le début. Mais dans cette sorte d’état de grâce dont bénéficie le groupe, leurs instruments semblent avoir trouvé une cohésion parfaite, en parfaite symbiose. Et s’il ne sont pas d’excellents techniciens, ils ont en revanche le don de donner de l’émotion à ce qu’ils jouent. Puis comme si ce morceau était une passerelle, le relais est laissé à Waters qui se charge d’animer la fin du disque en commençant par Brain Damage, chanson qui peut paraître anodine, mais qui regroupe tout le contenu de l’album en un seul thème : la folie. Et en toile de fond de cette folie, Syd Barrett, revenant hanter Roger qui d’un coup, balaye tout avec Eclipse, clôturant le disque comme il faut. Le morceau qui achève définitivement l’auditeur, entraîné une dernière fois dans l’œil du cyclone. Tout n’y est que tension provoquée par cette montée d’intensité où, de phrase en phrase, viennent s’ajouter des voix, des chœurs, tous ces petits détails qui provoquent des frissons parcourant le dos. En une chanson, Waters a su contenir la vie. D’une facture simple et jouant sur des oppositions de base, elle nous rappelle malgré tout la condition misérable de l’être humain condamné à devoir vivre tout en acceptant la mort. La mort qui viendra après les battements de ce cœur qui nous guident doucement vers la réalité. La boucle est bouclée et le disque s’achève comme il a commencé. Comme une invitation à revenir au début et repasser tout le disque encore et encore, repasser des tranches de vie, encore et encore et à chaque fois, s’émerveiller...
À la sortie de Dark Side Of The Moon, le Floyd a été acclamé et enfin, ils se sont retrouvés riches, célèbres, et frustrés. La réussite commerciale fut immense et les chiffres éloquents : aux États-Unis, l’album est resté 741 semaines dans les charts, soit environ 14 ans. Ce fut la plus grosse vente de l’industrie du disque jusqu’à ce que Michael Jackson déboule et une référence en matière de qualité sonore. Mais ce succès soudain et incontrôlable a laissé le groupe vide de toute substance. Les années qui suivirent ne furent pas très joyeuses mais néanmoins profitables. Dark Side Of The Moon reste aujourd’hui l’album accessible pour tous, à moins d’être vraiment allergique, chacun peut y trouver quelque chose à sa convenance et peut-être même, tenter le voyage au centre d’une petite galaxie appelée Pink Floyd.

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