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Alain Bosquet





Citations du jour

 Dieu est l’obstacle que j’érige
entre moi-même et moi
pour n’avoir pas à me comprendre.
                      Alain Bosquet
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Qu'est-ce que Dieu ? C'est un secret de l'homme. 
                      Alain Bosquet
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Que veut dire exister ? Je suis sans être moi.
                      Alain Bosquet
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Dieu : mille questions, aucune réponse. 
                      Alain Bosquet
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La vieillesse n’est un naufrage, c’est un massacre.
                      Alain Bosquet
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Quant à Saint John Perse oubliant que ses formules lui servaient de refrain et qu’il les répétait à satiété, il m’a dit à plusieurs reprises, avant de me l’écrire : «Il faut traverser toute vie, même littéraire, en animal de luxe.»
                      Alain Bosquet
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L’ennui est l’ennemi de l’amour; l’estime en est le ciment : cette formule simpliste ne manque pas de vérité.
                      Alain Bosquet
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 Je lui (Obama)  fais confiance, il travaille pour des gens comme moi, il se soucie de la justice sociale. Et j'avais peur qu'avec Mitt Romney, les femmes perdent des droits, qu'on retourne dans les années 50.
                          Sarah Arnholt, serveuse chez Starbucks
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Aucun "fils de pute" n'a jamais gagné une guerre en mourant pour son pays. On gagne une guerre en faisant ce qu'il faut pour que "le fils de pute" d'en face meure pour son pays
                     Général George Patton
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Vidéos et Conférences du jour

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Wolves Attack Humans and Sled-dogs


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NASA’s James Hansen: Neither party wants to offend the fossil fuel industry by talking about climate change

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Heidegger et Hannah Arendt


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Vidéo sur Alain Bosquet

Fabrice Luchini houspillé par Georges Charpak
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Poète  du jour
Alain Bosquet

Les  obsessions m’assiègent. Je ne puis garantir l’avenir de mes poèmes. Dureront-ils plus longtemps que moi : quelques années, quelques décennies, un peu plus? Me quitter ne m’est point douloureux : je me mithridatise. Quitter Norma m’est à peine tolérable. En revanche, je n’arrive pas à concevoir la séparation avec mes poèmes : ils représentent  ce que j’ai accompli de plus pur, de plus désintéressé et de plus innocent, dans la fureur ou l’apathie de mon existence.  Je ne peux, sans être ridicule, hurler à mes contemporains :
«Tas de salauds, si vous ne prenez pas soin de mes poèmes, vous ne méritez pas de respirer.»

 Je ne peux pas davantage me jeter à genoux en les suppliant : «Lisez-les, relisez-les jusqu’à ce qu’ils vous imprègnent; alors, vous en ferez des textes sacrés. »
Je n’aspire à rien d’autre pourtant, et le rêve est insensé! Je ne suis, je ne serai que par le pouvoir de quelques vers. S’ils ne me mènent pas à la postérité, je ne serai qu’une forme boueuse du néant. J’avoue, le cœur fendu, mon impuissance et ma tristesse. Je tenais l’avenir, le temps immobile, la durée marmoréenne : mais non! dans ma sérénité douteuse, je ne tiens rien du tout…
                                                   Alain Bosquet

Spectacle  
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Je ne suis qu’un grand cirque en faillite. Mes fauves
refusent de sauter dans le cercle de feu.
Mes dompteurs sont en grève, et mes clowns fatigués.
Le spectacle pourtant continue, le public

sachant qu’au dernier acte on dévore un poète
ou que, perché sur un trapèze, il se fracasse
pour s’entendre applaudir. Ce soir, entrée gratuite :
je te dirai combien, foule imbécile, un zèbre

est plus intelligent que toi. Je lancerai
de vrais poignards sur ta poitrine et, à la fin,
le chapiteau s’écroulera : quinze ou vingt morts,

ce sera ma vengeance. Il restera, j’espère,
pour le repas du tigre et celui des crotales,
quelques enfants dodus et comme émerveillés. 


Le poète comme meuble
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Le poète appartient aux objets ménagers;
on le trouve parmi les sécateurs, les pneus,
les robinets, les clous : troisième étage à gauche,
dans les grands magasins, où il est disponible

à des prix modérés. Tous les chefs de rayon
en connaissent l’emploi. Une brochure bleue
vante ses qualité. Il lui faut peu de place :
un mètre cube, au maximum, dans la cuisine.

Le modèle courant consomme du pain dur
avec un quart de vin. Par un jour de souffrance
ou de malheur, il peut rendre de grands services

car sa spécialité, c’est un air de printemps
irrésistible et doux, qu’il répand sur les murs,
la machine à laver, le réchaud, la poubelle.

Cafard
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J’ai le cafard. Le monde est moche. S’il voulait
me dépanner, Jésus sans me faire d’histoires,
descendrait de sa croix. Je tourne autour de lui,
sacré vieux pote : on se comprend à demi-mot.

Quel autobus voudrait-il prendre? À Montparnasse
on s’ennuie moins qu’ailleurs. Il a vieilli, je trouve.
On se tape un pastis, puis un autre; il est fier
de ses stigmates : pourquoi pas. Je l’interroge

sur la mort et les trucs qui surviennent après.
On change de bistrot, on reprend un whisky.
Il parle politique; échapper à mon temps

serait plus rigolo. Au bout d’une heure ou deux,
je le recloue sur sa planche pourrie. Jésus
et moi, en fin de compte, on n’a rien à se  dire.




En guise de préambule, au livre du jour
Il est le fils d’Alexandre Bisk, négociant en timbres-poste et poète, et de Berthe Turianski. Émigré en Belgique, il fait ses études à l'Université libre de Bruxelles, puis à la Sorbonne. Il se retrouve rédacteur du premier journal de Charles de Gaulle, La Voix de France, à New York, en 1942. Les Alliés lui confient la tâche de choisir les villes normandes à bombarder lors du débarquement. Pour ne pas tergiverser, il décide de faire détruire toutes ces villes, parmi elles Valognes, détruite aux trois quarts. Il n'exprimera aucun remords, ainsi qu'il le raconte dans Les Fêtes cruelles. Il débarque avec l'armée américaine en Normandie en juin 1944.
                                             Wikipédia

Alain Bosquet, disparu en 1997, a voulu que ce livre soit posthume. À la fois journal et bilan, il y regarde la mort en face, comme peu d'hommes ont eu le courage de le faire. C'est l'effroyable portrait d'un mourant. Il dit le corps qui se défait, la douleur, la maladie, les nuits infernales, la peur. Dieu n'est qu'une médecine douce. Et d'ailleurs le vrai créateur, c'est lui-même, le poète. Il note les souvenirs que sa mémoire retrouve en désordre.
                                            Préface du livre




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Livre du jour   : Un départ
Le Testament d’Alain Bosquet



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Je me souviens d’une femme irrésistible, il y a 40 ans, à qui j’ai tendu un billet, avec ces mots : «Aimez-moi, je vous prie, pour me forcer à vous aimer.» Dix ans plus tard, lors d’un bal masqué, le dernier auquel j’ai assisté, je me suis soudain jeté aux pieds d’une exquise créature, en vociférant : «Être belle comme vous, quel crime! Je vous punirai, je vous le jure.»


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Le directeur du Monde me commandait un jour, d’extrême urgence, un article de 2 colonnes sur André Breton : il me donnait 55  minutes pour le rédiger, puis le dicter. Je lui ai demandé la raison de cette hâte. Il m’a répondu avec sécheresse :
«On vient d’annoncer sa mort.»
Je me suis écrié :
«Mon Dieu, j’ai dîné chez lui il y a 3 jours.»
Le directeur du Monde, encore plus sec, a ajouté : «Bosquet, vous dictez d’abord; vous pleurerez ensuite.»

Un jour, j'ai remarqué parmi mes élèves, s'était assise une jeune fille
 de 18 ou 19 ans, Comme eux, elle résumait mes paroles sur un
 cahier; je parlais des tsars de Russie et de la Révolution
 d'Octobre. Le lendemain, elle est revenue, tout aussi
 assidue: je racontais à mes auditeurs les conquêtes africaines sans
 lesquelles ni la France, ni la Grande Bretagne ni le Portugal
 ne seraient devenus des nations prospères. Ma causerie terminée,
 la jeune fille s'est présentée a moi:

 «Je m'appelle Carolyne. Mon père est général. Nous venons de Virginie,
 et nous sommes 4 sœurs. J'aime beaucoup votre accent français. J'ai
 garé ma Chevrolet eu peu plus loin. Voulez-vous
 que nous allions jusqu'à San Francisco? Vous me parlerez de la
 France malheureuse.»

Elle conduisait avec adresse. Au volant, elle a ajouté:

«Je me marie dans 3 semaines. Tous m'assurent que les Français
 sont des amants exceptionnels.»
Au lieu de l'embrasser, j'ai dit:

«C'est un cliché! Vous êtes trop belle pour vivre une
 amourette sans lendemain.»
Elle a aussitôt arrêté sa voiture:
«Je ne voulais qu'un renseignement. Est-ce votre peuple accepte
 l'occupation allemande ?»
Nous avons bu un Cuba Libre au bar d'un hôtel.
Son profil, sa chevelure, la finesse de son visage,
 dans la demi-obscurité, la rendaient irréelle. Carolyne
 a chuchoté:
«Je ne suis plus vierge et ma liberté est totale.
Je l'ai raisonnée:
«Supposons que je vous demande de passer la nuit avec moi,
 et que je plaide comme le pauvre soldat que je suis, promis
 à la mort…»
Elle m'a saisi le bras.
«J'accepterais.»
Je me suis mis à rire:
«Par patriotisme?»
Elle s'est tue, avant de répondre:
Je peux, si vous avez des scrupules, vous jurer de vous oublier
 très vite.
Nous avons échangé un baiser très chaste. Le lendemain, nous
 avons admiré l'océan. Le jour d'après, nous nous sommes
 apitoyés sur le sort de l'Europe. Je n'ai plus revu Carolyne.
 En moi, j'ai fait d'elle une déesse inaccessible ou, plus raisonnablement
, une statue digne d'un musée.

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Lorsque la hantise de la paralysie me tenaille, j’en déduis que,  pour narguer le sort, je dois prendre les devants. Le suicide me semble alors logique, inéluctable et sain. Il suffira de choisir le moment, de m’habituer à l’idée qu’il comporte autant de courage que de grandeur, puis de le mettre à exécution. 

J’aurais deux éléments à peser pour ce qui deviendrait une entreprise ou, plutôt, un pacte entre mon instinct et ma raison. Le premier serait le moyen. Il ne faut pas qu’il soit démonstratif ni compliqué : rester sobre dans l’acte me paraît capital. Le maniement des armes à feu ne m’est plus aussi facile qu’au temps où je guerroyais de par le monde. La pendaison exige une mise en scène, indigne d’un homme aux idées moderne : au siècle dernier, la solution eût été moins incongrue. Je n’ai pour l’univers ni amour excessif ni haine inexpugnable : non, je ne ferai pas exploser une bombe dans un avion, à supposer que je puisse la dissimuler, en entraînant dans l’abîme 300 ou 400 de mes semblables.  Je  ne me jetterai ni sous un train ni du haut d’une falaise, à Folkestone ou à  Amalfi : je ne tiendrai pas à prendre pour témoins les arbres, les flots, les nuages, l’horizon; je ne les rendrai pas responsables de ce geste, qui m’incombe, à moi seul.

Reste le poison. Je devrai prendre l’avis d’un docteur ou pour le moins, d’un pharmacien. S’ils m’écoutent, ils me délivreront, soit par sympathie, soit par indifférence. S’ils hésitent, je devrai les courtiser, sous un prétexte qu’il me faudra inventer, ce qui risque de prendre plusieurs jours : le temps de me préparer, sans subir les inconvénients d’une conscience trop agitée. Le poison agira pendant le sommeil et le dernier soupir ne changera même pas la position d’un bras replié ou d’une nuque enfoncée dans le traversin.

D’ici à cette décision, je dois en suggérer la menace à Norma, sans hésiter. Je pourrais dire, en mangeant ma moitié de pamplemousse ou mon yaourt :

«J’imagine, j’imagine trop, comme depuis plus d’un demi-siècle. La paresse et les sautes d’humeur aidant, j’entrevois que je mets fin à mes jours. Tu avoueras que cette tentation n’est pas sans charme… Mais pardonne-moi, j’exagère.» 

Selon sa réaction, je pourrais prendre un air désabusé et absent :
«Je ne suis pas responsable de mes élucubrations. Suppose que je considère ma vie désormais comme une demi-vie, ou moins encore. Y mettre un terme m’apparaît très logique. Il est très probable que ce soit prématuré.»

Je multiplierais en même temps les paroles vagues, les balbutiements, les allusions à mon père ou à ma mère; j’irais jusqu’à dire :

«Ils m’attendent depuis si longtemps : je serais impoli de ne pas les rejoindre bientôt. S’il te plaît, acceptes-en l’idée.»

Ce régime de mensonges, de propos gratuits et de chantages servirait de prélude. Un jour, en effet, sans prévenir, je prendrai le train, comme j’y ai songé à maintes reprises. Un suicide ailleurs que chez moi aura un avantage insigne : l’appartement, les meubles, la bibliothèque, le salon, les toilettes, la cuisine, les couloirs resteront indemnes : pas la moindre empreinte d’une agonie et d’un cadavre! L’enterrement sera rapide et anonyme : disparaître à Lille, à La Haye ou à Birmingham sera faire acte d’humilité. Peut-être Norma pourra-t-elle occuper encore, sans cauchemar, un lieu où j’aurai vécu. Si je me contredis, c’est que la contradiction reste une de mes dernières vertus.



À la lecture de ce dernier passage, j'ai essayé d'imaginer sa condition de moribond sous les assauts du cancer. Ce passage est une sorte de testament, de confession de l'absurde. Je pourrais dire qu'à lui seul, il justifiait son emprunt à la bibliothèque...
 

Je remercie ma mère de m’avoir mis au monde à Odessa, en 1919 : cette naissance compensait la peur de la guerre civile. Je remercie mon père de lui avoir épargné un avortement : une femme est faite pour la grossesse. Je remercie l’exil, que j’ai connu très tôt : il m’a valu une avalanche de jolis paysages, qui se sont succédés à un rythme effréné. Je remercie mes instituteurs de leur patience : 3 fois par jours je méritais une paire de claques, qu’ils ne m’ont pas donnée. Je remercie mes professeurs de lycée qui m’ont sur-le-champ dégoûté d’Athènes, de Rome, de Périclès et de Virgile.


 Je remercie la dame qui m’a dépucelé : elle était souriante, se parfumait beaucoup et n’a pas réussi à se fixer dans ma mémoire. Je remercie George V, le roi d’Angleterre : Londres avait belle allure, en ce temps-là! Je remercie l’hypoténuse, l’hydrogène, l’ornithorynque et le tamanoir : pour un bon élève, que de délices ils m’apportaient…

 Je remercie mon premier smoking, ma première bicyclette et ma première escroquerie, il fallait bien s’épater à défaut d’épater les bourgeois. 

Je remercie Benito Mussolini et Maurice Chevalier : quels comédiens! Je remercie le cinéma muet et la TSF. Je remercie Adolf Hitler, qui me promettait d’exquises terreurs, comme je remercie Édouard Daladier, qui n’a pas su les éviter. Je remercie la défaite de quarante : sans humiliation, peut-on devenir adulte? Je remercie les soldats qui furent mes compagnons au Texas, à Londres, en Normandie ou en Allemagne, et je remercie ceux d’en face que j’ai tués. Je remercie Auschwitz qui a transformé l’homme en cloporte, et je remercie également Hiroshima, où hommes et cloportes se sont fondus l’un dans l’autre. 

Je remercie la télévision, qui me permet de cracher sur tous les footballeurs, tous les tennismen, tous les cyclistes et tous les hétérophiles qui l’infestent. Je remercie  les  objets plus que mes semblables car jamais le miroir, la béquille, la casserole, l’évier, la boîte à cirage, la tube dentifrice, le pot de chambre ne m’ont trahi comme savent me trahir les hommes. 

Je remercie le Bible, le Talmud, le Coran et le Popol Vuh, qui m’ont enseigné à remplacer leurs dieux par des dieux plus malins, sortis de ma plume. Je remercie l’absence, la vanité, l’effroi, l’amour, la peur, de n’être que des notions abstraites. Je remercie l’imagination : ah! si j’avais été un animal marin sur sa banquise, ou un pou dans la crinière d’un bison ! Je remercie les symphonies que je n’ai pas entendues, les tableaux que je n’ai pas contemplés, les livres que je n’ai pas lus. Je remercie la planète, qui me pardonnera me perfidie : j’aurais voulu vivre sur un astre différent. Je remercie la France : anodine comme elle est, pourquoi m’infligerait-elle la moindre déception ? Je remercie la Chine qui, après-demain, règnera sur les petits-enfants de nos enfants. Je remercie le printemps, s’il me promet de se prolonger jusqu’en décembre. Je remercie la République comme je remercierais le Royaume, l’Empire, le Consulat, la Commune, avec la même ironie. Je remercie le soleil qui me salue et la coccinelle qui voyage sur ma paume. 

Je remercie Byron, Shelley, Novalis, Rimbaud, qui n’ont pas connu les ravages de la maturité. Je remercie l’Enfer, qui m’épargne les mièvreries du Paradis. Je remercie l’écorce dont se défait l’eucalyptus et la peau qu’abandonne le python. Je remercie ma gorge, qui s’étrangle comme une route un dimanche au retour des citadins. Je remercie mes épaules, qui trouvent trop pesants l’azur, la neige et la rosée. Je remercie mon aorte, qui se bouche après trop de labeur. Je remercie ma raison, qui me conseille d’être moins raisonnable. Je remercie l’équateur d’être invisible et le méridien de ne jamais se rappeler à mon souvenir.  Je remercie l’écriture et le langage qui, malgré tant de trahisons, me sont jusqu’à la fin restés fidèles. Je remercie mes mots qui, pour la dernière fois, acceptent de former une  phrase : «Vivre était une merveille, vivre est devenu une corvée, vivre est aujourd’hui nocif.»
Livre du jour : Un départ
Le Testament d’Alain Bosquet




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