Je crois que la vérité est parfaite pour les mathématiques, la chimie, la philosophie, mais pas pour la vie. Dans la vie, l'illusion, l'imagination, le désir, l'espoir comptent plus.
Ernesto Sabato
Ici, vous retrouverez le portrait d'un grand écrivain argentin... Sa vie s'écrit comme un roman, son parcours est assez particulier. Il a consacré une partie de sa vie aux sciences, puis il s'est laissé diriger par sa première passion, la littérature. Je me rappelle d'avoir lu Le Tunnel de Sabato, j'avais beaucoup aimé, c'est un roman assez noir où il mêle l'humour. Bon, je me tais, place au lecteur!
Le Monde
Vendredi, 26 mai 2000, p. 1
LE MONDE DES LIVRES
L'ultime vérité d'Ernesto Sabato
REROLLE RAPHAELLE
A quoi pense-t-il, Ernesto Sabato, dans l'air aigrelet de l'automne austral ? A quoi songe ce vieil homme coiffé d'un chapeau de velours gris, qui fend d'un pas lent la foule venue l'applaudir ? A la joie que lui procurent les regards pleins de ferveur portés sur lui par son public ? Peut-être. Des voix fusent, dans la nuit froide de Buenos Aires : " Maestro ! Maestro ! " Des mains se tendent sur son passage, des femmes pleurent tandis que d'autres, par dizaines, se précipitent pour poser un baiser sur ses joues couvertes d'une barbe éparse. " Merci pour tout ce que vous avez écrit ", murmure l'une d'elles. " Et que Dieu vous bénisse ", lance une autre, esquissant une sorte de révérence. Un tout jeune homme, surgi du cortège d'admirateurs, s'élance pour prendre le visage de l'écrivain entre ses mains jointes et le contempler avec une vénération mêlée de tristesse, comme le ferait un amoureux ou une mère inquiète. Pense-t-il, Ernesto Sabato, à cette phrase écrite cinquante-cinq ans plus tôt dans son tout premier livre, Uno y el universo : " La gloire se trompe presque toujours d'objet et ne s'acquiert que rarement pour les raisons qui pourraient la justifier " ?
La gloire. Celle qui dessine une impalpable auréole autour d'un homme de 89 ans, sans doute l'une des figures les plus célèbres d'Argentine. Essayiste, romancier, peintre et citoyen engagé - il dirigea la commission d'enquête sur les disparus de la dictature militaire -, Sabato reste le dernier survivant de la génération des grands anciens, celle de Borges et de Cortazar. Celle qui fit rayonner les lettres argentines dans le monde entier, portant loin les feux d'une patrie chère au coeur de Sabato. Mais tout sentiment a son envers, son jumeau de l'ombre, surtout dans l'esprit de cet écrivain tourmenté, qui naquit juste après la mort d'un frère de deux ans plus âgé, lui aussi prénommé Ernesto. La vie entière d'Ernesto Sabato a oscillé entre deux versants, comme posée en équilibre sur une ligne de crête. L'un, plein de lumière, qui lui donnait accès au vertige de la création. L'autre, parfois proche jusqu'à la fusion, qui le projetait dans les replis les plus ténébreux de l'âme humaine.
La gloire, comme le reste donc, charrie sa part d'illusions et d'angoisses. Sans doute l'écrivain se sent-il touché par les effusions qui l'accompagnent, mais torturé à l'idée que cette foule méconnaisse les " graves défauts " dont il s'accuse dans Avant la fin, son dernier livre. La recherche de la " vérité " fut toujours son objectif, autant dans les sciences, où il commença sa carrière - en 1938, une bourse permit à ce brillant physicien de travailler à Paris, aux côtés d'Irène et de Frédéric Joliot-Curie -, que dans le domaine artistique. Et puis, on le sent mélancolique, aussi. Cette apparition publique à la Foire du livre de Buenos Aires, dans la soirée du 7 mai, sera peut-être la dernière. Contemplant les 1 200 personnes qui l'ovationnent debout, à l'issue d'une conférence terminée d'une voix tremblant de fatigue, l'écrivain ne parvient pas à s'en aller. " Je suis tellement ému, chuchote-t-il pour lui-même. Je ne sais pas si je les reverrai. " On l'entoure, on le rassure, on le cajole comme un enfant, mais si, vous allez voir, dix ans encore. Et lui, tandis qu'on l'escorte vers les coulisses, tourne la tête vers la salle pour " les " regarder encore un peu. Eux, c'est-à-dire en particulier les jeunes, à qui Sabato s'adresse très souvent lorsqu'il écrit. Tous ceux vers qui va son dernier livre et dont la présence a su, parfois, le distraire de ses cauchemars.
Deux jours plus tôt, dans la petite maison de Santos Lugares, un quartier de la périphérie de Buenos Aires où il habite depuis cinquante-trois ans, Sabato parlait de ces mauvais rêves qui hantèrent son enfance. " J'étais affligé de terribles crises de somnambulisme. Comme j'ai pu faire souffrir ma pauvre mère ! Mais ces épisodes ont déterminé tout ce que j'ai fait par la suite. " Tout, c'est-à-dire sa peinture, particulièrement angoissante, des recueils d'articles comme L'Ecrivain et la catastrophe (Seuil, 1986), et une oeuvre romanesque en trois parties qui le rendit célèbre aussitôt que parue. Célèbre, mais jamais nanti. Resté fidèle à l'idéal de justice sociale qui l'a fait militer dans les rangs du Parti communiste lorsqu'il était jeune, Ernesto Sabato n'a pas endossé les valeurs de la société de consommation. " J'ai écrit pour ne pas devenir fou. Pas pour l'argent. Vous n'avez qu'à voir. " Au sol, un lino noir tout crevassé s'ouvre sur un vieux parquet, juste sous les pieds du vieil homme.
Le Tunnel, Héros et tombes (d'abord paru en français sous le titre Alejandra) et L'Ange des ténèbres forment une trilogie chargée de noirceur et d'allégories, où l'homme cherche sa place dans un labyrinthe. Comme des somnambules, ses personnages s'affrontent à un monde où la réalité menace toujours de s'effondrer sous le poids de l'illusion. Parlant aux jeunes lecteurs, dans le prologue d' Avant la fin, Sabato les prévient qu'ils ne doivent pas s'attendre à trouver dans ce livre ses " vérités les plus atroces; ils ne les trouveront que dans mes romans, dans ces sinistres bals costumés où les personnages, à l'abri de leurs masques, disent ou révèlent des vérités qu'ils n'oseraient pas avouer à visage découvert ". Ces romans dont il a brûlé des pages et des pages, avant qu'une semi-cécité ne vienne l'empêcher d'écrire autre chose que des textes courts. " J'ai mis au feu la plus grande partie de ce que j'ai écrit, constate-t-il. A tel point que, dans le quartier, on m'appelait l'incendiaire. Même si parfois je l'ai regretté, notamment pour un roman intitulé L'Homme aux oiseaux, qui aurait été bon, je crois. "
Tandis que la pluie dégouline le long des fenêtres de son bureau, Ernesto Sabato se prend la tête entre les mains. L'avenir du monde, son oeuvre, tout cela s'estompe derrière quelques événements tragiques de son existence, auxquels il revient sans cesse. Cet ouvrage, qui est un " livre d'adieu ", un " testament ", il l'a dédicacé à ses morts : sa femme, Matilde, la compagne d'une vie pleine de tempêtes, et son fils, Jorge Federico, mort dans un accident de voiture. Les autres fantômes, anonymes ou célèbres, il en parle dans de courts chapitres consacrés à son itinéraire. Entre autres, les surréalistes, dont le contact l'incita à quitter l'univers platonicien des sciences pour celui, plus humain, du roman. Prophète de l'apocalypse, Ernesto Sabato tonne aussi contre un monde déshumanisé, miné par le règne totalitaire des pouvoirs économiques. Une société dont il dénonce depuis longtemps les erreurs et les crimes, avec un fougueux pessimisme. Mais ce monde qui s'annonce derrière les rideaux lie-de-vin de son bureau, ce siècle à peine entamé, ne sont déjà plus les siens.
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Publié le 27 février 2009 à 07h02 | Mis à jour à 07h03
L'Alberta s'englue
Ariane Krol La Presse |
:L'industrie des sables bitumineux ne détruit pas seulement l'environnement. Elle vient d'éclabousser sérieusement l'image du Canada aux États-Unis. Grâce au National Geographic, des millions d'Américains ont désormais une vision très noire de notre production pétrolière. Et ce n'est pas fini.
C'est ce dernier point qui risque de faire le plus de dégâts. Les milliers de tonnes de gaz à effet de serre générés par cette industrie contribuent de façon honteuse au réchauffement climatique. Le phénomène, hélas! n'est pas très visuel. Mais des milliers d'hectares de forêt rasés sous le regard impuissant des autochtones? Une rivière qui sent les oeufs pourris? On ne parle plus d'un enjeu environnemental abstrait, mais d'une tragédie à visage humain. Ça va faire très mal.
Et ça ne s'arrêtera pas aux États-Unis. Hier, une coopérative de services financiers britannique a avancé 50 000 livres à la nation crie Beaver Lake pour la soutenir dans sa bataille judiciaire contre l'Alberta. Ces Cris réclament une injonction contre plus de 16 000 permis d'extraction qui, selon eux, mettent en péril leur mode de vie ancestral. Des fonds étrangers pour aider des autochtones à se défendre contre les multinationales? Ce n'est qu'une question de temps avant que les comparaisons avec l'Amérique du Sud et l'Amazonie ne se mettent à fuser. Il ne manquerait plus qu'une équipe de la BBC s'intéresse aux conditions de vie misérables qui règnent dans certaines réserves...
Plusieurs craignent que toute cette publicité négative n'incite les États-Unis à boycotter le pétrole albertain. Ce serait étonnant. Sur le plan politique, les substituts en provenance du golfe Persique ou du Venezuela ne sont pas plus désirables pour nos voisins. C'est plutôt la perception générale du Canada à l'étranger qui risque d'être affectée. Un impact diffus, mais qui pourrait s'avérer très dommageable à long terme. Si les plaines noirâtres et visqueuses de Fort McMurray viennent supplanter, dans l'imaginaire populaire, les animaux sauvages et la blancheur des montagnes Rocheuses, on ne donne pas cher de l'industrie touristique dans l'Ouest canadien.
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